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A la découverte du fabuleux trésor de Ciberon

C’est un trésor qui ferait pâlir d’envie n’importe quel archéologue, n’importe quel chasseur d’épaves. Des pierres précieuses, des céramiques impériales, des bijoux, de l’or, du cristal… au total, 271 000 objets, datant du 10e siècle et provenant d’un galion, ayant fait naufrage au large du port de Cirebon (Java) en Indonésie, vont être prochainement mis aux enchères à Jakarta. Valeur minimum : 80 millions de dollars. Une première vente avait eu lieu le 5 mai dernier dans les salons du ministère de la Pêche et des Affaires Maritimes de la capitale, mais aucun enchérisseur ne s’était manifesté. En cause, les modalités de participation. Chaque candidat, parmi lesquels des musées en Chine, à Singapour ou à Taïwan, devait déposer 16 millions de dollars. Personne ne l’a fait dans les temps impartis.

Cet après-midi-là, dans l’immense salle de réception du ministère, les trois coups de marteau, annonçant l’échec des enchères, ont résonné comme une victoire pour les opposants à la vente. Mêlés aux dizaines de journalistes, l’un d’entre eux a applaudi et brandi une pancarte sur laquelle il faisait savoir son mécontentement à voir ce trésor, symbole de la richesse archéologique sous-marine indonésienne, quitter le pays. Il sera interpellé, avant que les autorités ne décident le report sine die de la vente. Debout, Luc Heymans, le directeur belge de la société Cosmix Underwater Research à l’origine de la découverte en 2004, ne cache pas son amertume. « Je suis forcément déçu. Cette vente devait clôturer cinq ans de travail et d’expertises, il faudra sans doute revoir les méthodes de participation. Mais il y a des clients intéressés, ces pièces sont uniques et en parfait état de conservation », explique-t-il.

Quelques jours plus tôt, Luc Heymans, 52 ans, nous avait donné rendez-vous au dépôt où sont stockés les objets de Cirebon. L’endroit, situé à Pamulang dans la banlieue de Jakarta, est hautement surveillé. Il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans ce haras, transformé pour l’occasion en musée éphémère. Les boxes des chevaux sont désormais occupés par des centaines de caisses,contenant des trésors vieux de mille ans.
« Chaque pièce a été identifiée, mesurée, expertisée et cataloguée. On connaît chacune d’ entre elles », souligne-t-il. La centaine de milliers de porcelaines chinoises remontées à la surface date pour la plupart de l’époque des « Cinq Dynasties » (906-960). « On n’a très peu de traces de cette époque, c’est donc une découverte majeure, l’une des plus importantes jamais réalisées depuis plusieurs années ». Au fond du haras, Luc Heymans a recréé une salle des trésors, accessible seulement aux clients potentiels: on y voit des étagères remplies des plus belles pièces, l’ancre du bateau, des amphores, des vases, des sculptures, mais aussi sous bonne garde, les 4000 rubis, les 12000 perles, les blocs de cristal, les bijoux en or et les pièces en verre poli, datant de l’époque des Fatimides, originaires d’Egypte, d’Iran, de Syrie ou de Mésopotamie. « Ce sont des preuves que le commerce était prospère à cette époque en Indonésie. On venait du Moyen-Orient ou de Chine, c’était une route très fréquentée. On ne sait pas d’où ce bateau était parti et où il allait, ce qui semble sûr, c’est qu’il a coulé à cause d’une cargaison trop lourde », précise-t-il.

« Ce sont des preuves que le commerce était prospère à cette époque en Indonésie. On venait du Moyen-Orient ou de Chine, c’était une route très fréquentée. On ne sait pas d’où ce bateau était parti et où il allait, ce qui semble sûr, c’est qu’il a coulé à cause d’une cargaison trop lourde »

La découverte de ce trésor est un feuilleton à rebondissements, digne d’une superproduction hollywoodienne. Le premier épisode a commencé à la fin de l’année 2003. A l’époque, deux pêcheurs avaient remonté dans leurs filets des bouts de céramiques. Cette trouvaille allait vite se savoir, et Luc Heymans, qui prospectait dans le secteur, se voyait confier le chantier avec une autre société spécialisée dans la recherche archéologique sous-marine. Les premières fouilles, réalisées en avril 2004, sont optimistes. Le bateau, qui ne porte pasdenom,mesure36mdelong,11mde large et sa cargaison repose par 57 m de fond. «Les recherches ont été très encadrées. Le permis d’excavation nous avait été remis par un organisme regroupant 13 ministères, dont celui de la Pêche, de la Culture et des Finances. Même sur le bateau, on avait des représentants pour surveiller la cargaison », se rappelle Luc Heymans. Les fouilles s’interrompirent six mois plus tard pour vérifications. Elles reprendront en janvier 2005 pour dix mois avec la remontée de plus de 270 000 pièces. 75 personnes, parmi lesquelles des équipes de plongeurs, d’archéologues et de chercheurs français, belges, allemands, américains, australiens, participent aux recherches. « Tout a été fait en parfait accord avec les autorités, les objets étaient ramenés à Jakarta où ils étaient nettoyés et répertoriés sur des DVD avec toutes leurs données ».

Les ennuis commencent à la fin de l’année 2005 quand une société concurrente dénonce les agissements de la société de Luc Heymans. Selon elle, Cosmix pillerait le patrimoine sous-marin indonésien et n’aurait pas toutes les autorisations. La machine judiciaire se met en marche. Des scellés sont posés sur le bateau, des pièces, entreposées dans une maison à Lebak Bulus dans le sud de Jakarta, sont saisies, et deux plongeurs, un Français et un Allemand, sont placés en garde à vue. « Ils seront libérés 43 jours plus tard le temps que la situation s’éclaircisse. Nous avions tous les documents en ordre, cette découverte a attisé les convoitises et beaucoup voulait se l’ approprier», souligne Luc Heymans.

Pendant trois ans, les pièces ont fait l’objet d’expertises minutieuses réalisées au musée royal de Mariemont en Belgique. Elles ont été analysées, échantillonnées, dans le but de retracer leur histoire. Même le bateau a été recréé en trois dimensions. « Il s’agissait de mieux comprendre ce qui était arrivé, à qui étaient destinées ces pièces. Les céramiques étaient sûrement pour des ambassades, les pierres précieuses servaient d’offrandes à Bouddha, le reste devait servir au commerce ou pour l’apparat. Il y avait beaucoup de sultanat dans la région. » Lors de la prochaine vente aux enchères, les objets ne seront vendus qu’en un seul lot. Le futur acheteur sera propriétaire de toute la cargaison de Cirebon. 1000 ans après, cette découverte continue toujours autant de fasciner.

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