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A la découverte d’un puskesmas

Deux mondes se font face. D’un côté celui de la pauvreté où l’on vit dans un logement rudimentaire planté au-dessus d’une eau marécageuse. De l’autre celui du pétrole où le prix du baril atteint des sommets. Nous sommes à Balikpapan, une ville industrielle située à l’Est de la province. Les installations ultramodernes de la raffinerie et son immense flamme de gaz dominent un quartier sur pilotis d’un autre age. Au petit matin, à Margasari, c’est surtout l’odeur nauséabonde qui réveille les sens. Un parfum d’égouts persistant. Les maisons, où cohabitent plusieurs générations, surplombent une eau boueuse dont le niveau varie en fonction des marées. Tout est systématiquement jeté à la mer. Plastique, nourriture, déchets ménagers, excréments… La chaleur torride qui monte avec l’aube rend l’atmosphère vite étouffante. Ce n’est pourtant pas ce que l’on retient de ce quartier où vivent soixante-douze familles. Les rires des enfants courant sur les pontons et la gentillesse des femmes occupées à trier le poisson sur le pas des portes font oublier le reste. A quelques mètres de l’assourdissant marché de fruits et légumes, un plancher en bois conduit directement au Puskesmas. C’est le nom donné aux centres de santé primaire en Indonésie.

Un rôle de prévention et d’information
C’est ici qu’exercent Sulaiman et Lilik, tous deux infirmiers. Le regard vissé sur ses dossiers, Sulaiman hurle pour la énième fois « C’est pourquoi ? ». Une femme voilée au regard inquiet s’avance dans le minuscule bureau. Sa petite fille refuse de manger depuis plusieurs jours. L’infirmier prend le pouls, tâte la poitrine et prescrit des médicaments. Une autre maman arrive avec un enfant fiévreux. On ne dit ni bonjour, ni merci, ni au revoir. Ce matin vont se succéder des enfants à la peau galleuse, des grand-mères à la tension artérielle anormalement haute et tout un cortège de petits bobos. Ouvert il y a quatre ans, ce puskesmas assure les soins de base à la population. Pour les traumas et problèmes plus aigus, les Indonésiens doivent se rendre dans les hôpitaux. Une démarche qui ne va pas de soi. Beaucoup de gens, les plus pauvres ou les plus isolés géographiquement, ont souvent recours à l’automédication. Ils sont aussi plus à l’aise avec le tukang pijat, le masseur du coin qui fait office de « rebouteux », qu’avec un médecin ou une infirmière. Ici comme dans le reste de l’Indonésie, concoctions naturelles, plantes écrasées et massages font partie intégrante de la santé.

Il est 11 heures du matin et la chaleur écrase les esprits. Devant la porte, une dizaine de paires de tongs jonchent le sol. La doctoresse Tenri Esa fait les cent pas dans le hall. Pas un seul ventilateur ne rafraîchit la pièce. Nouvellement diplômée, elle se doit d’exercer quelque temps dans ce type de structure avant de rejoindre un hôpital ou un cabinet en ville. « Les Indonésiens font plus attention aujourd’hui à leur santé, explique-t-elle. Les informations diffusées à la télévision ont modifié le comportement par rapport à la nutrition ou l’hygiène. Pourtant, il y a encore du chemin à faire. » Pour faire évoluer les choses, les puskesmas proposent des consultations tous les mois pour les enfants jusqu’à cinq ans et les personnes âgées à partir de 60 ans. Chacun reçoit sa convocation personnelle. Au plus près des gens, ces dispensaires ont un rôle clé dans la promotion de la santé, la prévention et l’information concernant les maladies. Relais fondamentaux pour éduquer la population, ils diffusent de nombreux messages concernant la nécessité d’une bonne hygiène, l’obligation d’enterrer les ordures et de couvrir les flaques d’eau, l’importance de manger une nourriture équilibrée… Infirmiers et médecins répètent les consignes. Des actions indispensables car la tuberculose et la malaria tuent encore. Ici aussi, les cas de dengue ne sont pas rares. Un enfant de six ans du quartier est décédé la semaine dernière. Quatre autres cas ont été détectés. Mais comment favoriser la prévention face à de telles maladies quand la plupart des foyers n’utilisent pas de répulsif anti-moustique ?

Deuxième ville pétrolière d’Indonésie
Dans un pays de 223 millions d’habitants où les conditions de vie restent précaires pour une grande partie de la population, Balikpapan représente un véritable Eldorado. Deuxième centre pétrolier d’Indonésie et port exportant notamment du charbon et du bois, la ville compte aujourd’hui 500 000 habitants. Attirés par sa forte croissance économique, des Indonésiens venus surtout de Sulawesi et de Java arrivent en masse pour chercher du travail. La ville prospère, mais du même coup, tout augmente, les loyers, les produits de consommation courante, les transports… Le coût des consultations au puskesmas reste un frein pour certains. Depuis 2000, un programme national permet aux plus pauvres de bénéficier de soins gratuits. Les possesseurs de la carte Gakin (une abréviation de famille et pauvre) représentent un tiers des patients. Les autres doivent payer les consultations : 30 000 roupies pour l’infirmier, 10 000 pour le dentiste et 30 000 pour la sage-femme. L’Indonésie ne consacre que 2,8 % de son produit intérieur brut à la santé*. Pourtant, les grands projets ne manquent pas comme le « Plan pour la santé 2010 ». Parmi les objectifs de ce programme, la réduction du taux de mortalité maternelle à la naissance et du nombre d’enfants rachitiques, ainsi que la guérison de tous les malades atteints par la tuberculose.

Pour l’heure, il n’y a plus un seul patient dans le hall du puskesmas. Lilik et Sulaiman sont repartis. La doctoresse Tenri Esa range ses dossiers. La petite fille fiévreuse sort avec ses parents et son grand frère. Ils montent tous les quatre sur la mobylette garée devant la porte et disparaissent dans une grande pétarade. Au loin, la torche de la raffinerie continue de s’élever dans le ciel.

*chiffres de l’OMS (2004)

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