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A la chasse à la tortue à nez de cochon

Il y a de nombreuses espèces de tortues d’eau douce en Indonésie, bien plus que les espèces marines. L’une d’entre elles est la tortue à nez de cochon (Carettochelys insculpta) qui vit loin à l’est, en Papouasie indonésienne. Avec leur groin retroussé comme celui d’un porc et leurs nageoires, ces drôles de bestioles appartiennent à un groupe très anciens de chéloniens. Protégées par des lois nationales et internationales, on trouve des populations plus réduites en Australie, leur habitat principal reste avant tout les marais de l’île de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elles pondent leurs œufs sur des bancs de sables, à l’intérieur des lacets que font les courts d’eau, qui éclosent dans un délai de deux mois et demi. Les bébés de 5 cm de long sont des proies faciles pour les crocodiles. Les populations locales qui vivent dans ces marécages immenses les ont toujours capturées en petite quantité pour s’alimenter, parmi d’autres proies. Mais il y a désormais un marché florissant à l’étranger pour ces tortues, ce qui a engendré un trafic illégal important.

Dès lors, lorsque j’ai eu l’opportunité de voir par moi-même ces créatures de près, j’ai sauté sur l’occasion. Voyager jusqu’à leur habitat n’est pas chose aisée puisque ces animaux vivent dans de vastes marécages au sud des montagnes de Papouasie. D’avion, ces zones marécageuses apparaissent infinies et la plupart sont encore inexplorées. Le terrain est très plat et sans forme, quadrillé par des centaines de larges rivières qui déposent leur limon dans la mer d’Arafura. De ces plages du sud, on peut gagner l’Australie en seulement quatre heures avec une vedette rapide ! A une heure d’avion de Merauke, ou à trois jours de bateau par la rivière à partir d’Agats, on trouve la petite ville de Senggo. C’est là que les commerçants s’approvisionnent en bois parfumé (gaharu), en tortues, en serpents, en oiseaux et autres. Ils arrivent jusqu’ici dans leurs gros navires marchands, en contraste saisissant avec les fines pirogues des locaux.

Un peu plus loin sur la rivière, j’ai vu ma première « nez de cochon » captive. Une grosse femelle adulte, dans les 10 kilos. Celle-ci n’est pas destinée aux marchands, mais engraissée pour finir dans la marmite, m’a-t-on dit. J’ai ensuite été invité à voir des œufs fraîchement collectés et des jeunes à peine nés en train de se nourrir avec voracité de liserons d’eau. Comme toujours, le fait que le commerce de ces bêtes soit devenu illégal n’a fait qu’en augmenter le prix. On m’a expliqué par la suite que ces bébés seraient enveloppés dans des linges humides avant d’être introduits en contrebande à Surabaya ou dans d’autres ports de Java, enfermés dans des barils. Ils seront ensuite expédiés à l’étranger, principalement en Chine, où ils seront lyophilisés afin d’être utilisés dans la médecine traditionnelle.

Il y a eu récemment plusieurs saisies largement médiatisées de cargaisons de tortues protégées, chaque fois portant sur des dizaines de milliers de spécimens. Certaines d’entre elles ont même survécu assez longtemps pour retrouver leur habitat d’origine, le tout à grand frais, mais aucun suivi adéquat n’a jamais été effectué pour connaître précisément le devenir de ces animaux capturés puis relâchés.

En dépit de règlements interdisant formellement la capture et le commerce de ces tortues à nez de cochon ainsi que de bien d’autres espèces, le trafic de la vie sauvage et naturelle de Papua prospère avec frénésie. Si je peux comprendre l’attraction qu’exercent ces animaux sur des collectionneurs lointains, qui pourront les convertir en espèce d’élevage, je suis bien triste de savoir qu’elles vont finir en poudre de perlimpinpin, tout particulièrement dans ces quantités astronomiques. Si les populations locales étaient autorisées à faire de l’élevage, puis à vendre leurs bêtes en fonction d’un système de quota, le commerce pourrait être surveillé et les villageois auraient ainsi une bonne raison de les protéger. Etant donné le peu de sérieux avec lequel les officiels font respecter les lois de protection de la nature en Indonésie, je crois fermement aux solutions de conservation basées sur les communautés, avec un coup de pouce de l’extérieur, comme remède durable ici.

Mais, à la différence d’espèces plus médiatiques, comme les tigres, les éléphants ou les rhinos, les tortues à nez de cochon sont hors des projecteurs et n’ont pas l’appui des organisations animalières. Pour l’instant au moins, il semble qu’il y ait encore assez de spécimens sauvages pour faire face à une telle exploitation. Cependant, sans des mesures pratiques et réfléchies de préservation, j’ai bien peur que la tortue à nez de cochon disparaisse dans l’anonymat et qu’elle fasse partie à son tour de cette longue liste des animaux seulement visibles aujourd’hui dans les zoos et autres musées.

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