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Sri Mulyani poussée vers la sortie, Bakrie reprend la main

Il y a quelque chose de pathétique dans la politique indonésienne. Jamais les intérêts des 240 millions d’habitants de l’archipel, la moitié d’entre euxvivantavecl’équivalent de deux dollars par jour, n’apparaissent comme plus importants que les intérêts politiques de ceux qui les gouvernent. C’est une critique récurrente dans beaucoup de pays et qui explique en partie la désaffection du public pour la chose politique. Mais l’éviction cachée de Sri Mulyani sonne encore plus faux : icône ultra-compétente, réformatrice et propre d’un gouvernement qui ne renvoie pas exactement ces mêmes images, elle a été invitée à quitter son ministère, et même le pays, afin que le jeu politique habituel ne soit pas entravé et qu’un de ses acteurs majeurs revienne sur le devant de la scène.

On est en droit de se demander si le fameux scandale de la banque Century, qui a vu le gouvernement payer afin de sauver cette petite banque de la faillite au cœur de la crise financière, n’a finalement pas été complètement organisé dans le but unique, ou ultime, de faire la peau à la ministre des Finances et dans une moindre mesure au vice- président Boediono. De nombreuses analyses ont montré à quel point ce renflouage était nécessaire afin de ne pas précipiter l’Indonésie vers une crise financière majeure. Nombre de législateurs en sont eux-mêmes certainement convaincus. Cela ne les a pas empêché, suivant les ordres de leurs partis respectifs, de mettre toute leur énergie dans la bataille afin d’obtenir la tête de Sri Mulyani, responsable (parmi d’autres) de la décision de renflouer les caisses de la banque Century. Cette activité purement politicienne, qui en aucun cas n’a d’influence sur le devenir
des Indonésiens, les a aussi détournés d’une de leurs fonctions principales, à savoir la fonction législative qui elle, est censée améliorer le sort du pays et de ses habitants. Aucune loi n’a été votée au parlement indonésien depuis le début de l’année 2010. Pas un texte législatif n’a été produit ces six derniers mois. En revanche la meilleure ministre de l’équipe gouvernementale a été sacrifiée devant les intérêts personnels de quelques-uns. Le président Yudhoyono n’a rien fait pour l’empêcher. Il a même poussé le paradoxe à soutenir la position de sa ministre dans l’affaire Century avant de lui demander de partir pour les mêmes raisons quelques semaines plus tard.

« Aucune loi n’a été votée au parlement indonésien depuis le début de l’année 2010. Pas un texte législatif n’a été produit ces six derniers mois. En revanche la meilleure ministre de l’équipe gouvernementale a été sacrifiée devant les intérêts personnels de quelques-uns »

Avait-il le choix ? Son gouvernement n’a aucune marge de manœuvre et dépend en grande partie de ses partenaires dans une coalition fragile. Au premier rang desquels le Golkar et son chef Aburizal Bakrie. Celui-ci n’a que peu apprécié que Sri Mulyani fouille dans les feuilles d’imposition de ses nombreuses entreprises, qu’elle cherche à trouver les fraudeurs afin d’augmenter les revenus de l’Etat et ainsi lui permettre de mener les politiques nécessaires. Crime de èse-majesté. Bakrie a donc actionné deux leviers hautement efficaces en Indonésie : son parti a entravé le travail du gouvernement et du parlement pendant que lui, rappelait au président que ses campagnes présidentielles victorieuses devaient beaucoup à son large portefeuille. L’indécis SBY n’a eu d’autre choix que de lui donner ce qu’il recherchait.

Sri Mulyani, qui a toujours préféré se concentrer sur son travail plutôt que sur ses relations avec les journalistes et sa communication, a néanmoins expliqué et confirmé à mots couverts ce que tout le monde savait plus ou moins. Elle a affirmé que son départ « avait été forcé, qu’ il était le résultat d’ un mariage entre personnes du même sexe et qu’elle ne pouvait plus exister dans un système politique dans lequel l’éthique n’est plus qu’une très rare vertu».Les intéressés apprécieront.

Le compromis entre le président et Aburizal Bakrie semble même avoir été plus loin. En plus de la tête de la ministre, ce dernier a obtenu dans la foulée la création d’un Secrétariat de la coalition dont il est bien sûr à la tête. Les problèmes politiques qui ont pourri le début du second mandat de SBY vont très probablement disparaître très rapidement, donnant l’image d’un gouvernement uni dans les prochains mois. Cette façade va cacher toutes les manœuvres internes visant à satisfaire les intérêts de chacun. La victime est habituelle. Il s’agit du peuple indonésien. Celui-ci vient de perdre un des seuls esprits réformateurs au pouvoir, au profit des forces du statu quo.

Après la gifle reçue, Sri Mulyani va quant à elle prendre le chemin de Washington pour trois ans. Elle mettra son talent au service de dizaines de pays en développement au sein de la Banque Mondiale. Elle a promis de revenir. Son mandat américain doit s’achever en 2013. La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2014. Le président Yudhoyono ne pourra pas se représenter. Il n’est pas interdit de rêver à une candidature de la dame de fer indonésienne. Celle- ci devrait combattre les forces du Mal incarnées par cette génération de politiques qui ne veut perdre aucun de ses privilèges. Mais gageons que des millions d’Indonésiens seront prêts à la suivre.

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