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Puits futés contre la sécheresse des NTT

Pour cet ancien aérostier originaire de Munster (Alsace), percer des puits n’est pas une vocation, ni même une activité caritative. « Je ne fais pas dans l’humanitaire, mais dans l’humanité », précise cet excentrique au verbe coloré qui a passé les deux dernières années de sa vie parmi des tribus de Savu et Sumba. Emu par les difficultés de ces villageois à survivre dans un environnement magnifique mais ingrat, cet ancien voyageur-photographe a mis sur pied un système efficace de construction de puits en revitalisant une technique apportée par un missionnaire autrichien, le père Franz Lackner. Finançant ses projets essentiellement avec ses modestes revenus personnels, « les ONG, c’est pas mon trip », cet aventurier iconoclaste, sorte de Baron de Münchhausen des temps modernes, a déjà construit neuf puits dans ces contrées oubliées du monde.

« Quand je suis revenu à Savu pour distribuer les photos que j’avais prises, je me suis rendu compte que les gens mouraient à cause de la sécheresse », explique André Graff. Les plus pauvres des habitants de cette île de 60 000 habitants sont pourtant habitués à la famine ordinaire qui les frappe tous les ans avant la période des récoltes. Leur survie dépend alors de la consommation de potirons, de poissons séchés, d’ignames et de patates douces. Cependant, avec le phénomène aggravant El Nino et les dérèglements climatiques actuels, ces périodes de sécheresse se prolongent et annihilent souvent tout espoir de récolte, entraînant une période d’extrême famine pendant laquelle la survie ne dépend plus que de la consommation de sirop de palme. « De toute façon, avec un seul et unique repas par jour, les carences alimentaires deviennent vite une réalité », explique l’aventurier alsacien.

Les rares points d’eau sont également pollués par les déjections et les cadavres d’animaux assoiffés. Ces périodes sont marquées par un accroissement des problèmes gastro-intestinaux, principalement parmi les enfants. La moitié des enfants de moins de cinq ans souffre de malnutrition à Sumba et le taux de mortalité infantile y est parmi les plus élevés d’Indonésie. En novembre 2005, André Graff a donc construit un premier puits à Ledetadu, village en altitude de Savu, après avoir appris du missionnaire autrichien les techniques de fabrication du moule qui sert à produire les buses du puits, ou gorong-gorong en indonésien. Percer des trous pour puiser l’eau des nappes phréatiques n’est cependant pas une nouveauté pour ces villageois. C’est la technique qui est nouvelle, car elle garantit la solidité du puits et son utilisation durable. « On peut même l’approfondir à volonté si il faut », commente André Graff.

Le puits est constitué d’anneaux en béton préformés de 120 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur, empilés les uns sur les autres pendant le creusement du trou. L’astuce réside dans la forme de ces buses qui présente des bords avec une différence de 6 cm entre le haut et le bas, permettant ainsi d’y descendre et d’en remonter à loisir grâce aux marches constituées par ces décrochements. Outre la solidité de la structure, qui résiste aux écroulements que ne manquent pas de créer les constantes secousses sismiques de l’archipel, le puits est désormais accessible à l’entretien et dimensionné en fonction de la hauteur variable des nappes. « Le coût d’un puits de 15 mètres de profondeur est de 7 000 000 de roupies, c’est-à-dire la valeur d’un buffle dont les cornes sont longues comme le bras », commente André Graff qui remarque que pour le prix d’un seul buffle sacrifié pour un rite tribal, « les 70 familles de Ledetadu ont maintenant accès à de l’eau propre tous les jours ».

Fort de cette expérience à Savu, l’Alsacien est ensuite retourné sur l’île voisine de Sumba avec ses buses, ses moules et l’intention de renouveler l’expérience dans les villages sans électricité de Waru Wora, Napu Bawa et Napu Atas en perçant le trou d’eau fétide de Wolekadada. La fortune souriant aux audacieux, le creusement du puits a mis à jour une source propre cachée dans les profondeurs. Néanmoins, méfiance oblige, les villageois ont attendu pendant huit mois le feu vert du chaman avant d’y puiser l’eau… André Graff a aussi enseigné la fabrication des buses aux villageois qui ont monté une petite entreprise de cinq personnes. « Comme le bupati du coin voit d’un bon œil cette initiative, il est venu lui-même inaugurer la fabrique et a fait la promotion des buses dans d’autres villages afin qu’ils s’équipent sans tarder », explique André Graff.

L’initiative du Français n’est ni la seule ni la première dans ces îles de l’est indonésien. A Sumba comme à Savu, des associations luttent contre les nombreux problèmes qui, outre le manque d’eau, frappent les populations. La malaria et la tuberculose sont encore endémiques, les complications liées à la malnutrition lors des grossesses ou des accouchements sont à l’origine du décès de quantité de mères et de bébés.

Enfin, la superstition religieuse et les guerres tribales, principalement à Sumba, constituent un frein constant à l’éradication des maux qui frappent ces îles. Les autorités de Jakarta n’ont d’ailleurs jamais montré un grand enthousiasme à administrer ces terres arides et lointaines. L’éducation nationale y est quasiment laissée pour compte, matériellement à la charge des fondations présentes sur le terrain. Dans ce climat d’abandon, les puits futés d’André Graff et leur réalisation facile façon « système D » représentent sans aucun doute une réponse efficace et pratique au manque crucial d’eau à Nusa Tenggara Timur (NTT).

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