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Papua : Le talon d’Achille du gouvernement

En fournissant quelques-uns des meilleurs sportifs ayant brillé aux récents Jeux d’Asie du Sud-est, en étant le théâtre d’une grève massive affectant la mine de Freeport, le principal contribuable d’Indonésie, ou en focalisant sur les innombrables atteintes aux Droits de l’Homme y ayant cours, la Papua s’est très largement invitée dans l’actualité nationale. Peut-être trop aux yeux d’un gouvernement qui traine et traite de plus en plus cette région comme un fardeau…

Titus Bonai, Patrich Wangai ou Oktovianus Maniani sont trois des stars de l’équipe de football indonésienne ayant participe aux Jeux d’Asie du Sud-est. Ils sont tous les trois originaires de Papua et, en leur qualité de sportifs de haut niveau, complètement acceptés par les Indonésiens. Ils sont une
vitrine et un bel exemple de réussite mais ne sont pas représentatifs du sort qui s’acharne sur l’immense majorité de leurs compagnons.

La violence a ravagé la Papua depuis son annexion en 1963. L’indonésie en prend officiellement le contrôle en 1969 en organisant un référendum truqué, revendiqué par Suharto comme un « acte de libre choix », mais qui ignore bien sûr les demandes papoues pour une souveraineté politique. Cette violence s’est traduite depuis lors par des exécutions sommaires, l’emprisonnement d’activistes, la dégradation de l’environnement, l’exploitation des ressources naturelles et la domination commerciale de communautés immigrées.

Depuis plusieurs mois, un des derniers exemples en date oppose des milliers de travailleurs locaux à leur employeur, le géant minier américain Freeport. Soutenu par le gouvernement et les forces de l’ordre, celui-ci refuse pour l’instant d’accéder aux demandes d’augmentation de salaires d’une grande
partie de ses employés. Les débordements liés à cette grève ont causé la mort de plusieurs personnes, dont des policiers. Ces policiers et militaires, sur qui se concentre beaucoup du ressentiment exprimé par la population indigène de Papua. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas failli à leur réputation de violence injustifiée (et impunie) quand, le 19 octobre dernier, ils ont ouvert le feu sur des papous non armés qui s’étaient réunis à l’occasion du troisième Congrès du Peuple papou afin de faire part de leurs aspirations
politiques pacifiquement.

Au moins trois personnes ont été tuées, des dizaines blessées et six arrêtées. Ils rejoignent Filep Karma, un prisonnier politique condamné à 15 ans en 2004 pour avoir arboré un drapeau proindépendance. Celui-ci s’est récemment exprimé à la faveur de soins médicaux qui lui ont permis de sortir de la prison dans laquelle il est enfermé. « L’Indonésie dit : nous sommes frères, nous sommes égaux,mais vous voyez, cela n’a aucun sens », a-t-il expliqué à l’agence Associated Press. Filep Karma affirme être régulièrement la cible de violences de la part de ses gardes qui moquent sa confession chrétienne et le traitent de « chien ».

Cela fait bientôt 45 ans que cela dure. L’ancien Président Abdurrahman Wahid
avait bien réussi à impliquer les Papous en les approchant, en les autorisant à changer le nom de leur région d’Irian Jaya en Papua ou à arborer le drapeau de l’indépendance. Il s’était également rendu en Papua pour
discuter avec les populations locales. Ces efforts ont été annihilés par son
successeur, Megawati, qui fit voter la loi d’autonomie spéciale et divisa la région en deux provinces.

C’est en 2001 que ce statut de région à autonomie spéciale a été accordé à la Papua. Il fut accompagné de la promesse que l’argent transféré par le gouvernement central faciliterait le développement de la Papua. Peu de temps après, le gouvernement a commencé à accorder des concessions minières, assurant à nouveau que ces investissements profiteraient aux populations locales. 10 ans plus tard, l’agence nationale d’audit a affirmé que près d’un quart de l’argent distribué au nom de l’autonomie spéciale depuis 2001 avait été détourné.

Dans leur grande majorité, les Papous restent une population pauvre qui a l’impression de ne pas bénéficier de l’argent généré par les immenses ressources naturelles offertes par ses terres. Cette vision nourrit un sentiment profond de défiance et de colère à l’égard du pouvoir à Jakarta. « L’application inconsistante de la loi d’autonomie spéciale a provoqué beaucoup de déception chez les Papous, explique le Père Neles Tebay, prêtre
respecté appartenant au Papua Peace Network. Ils constatent que leurs vies ne se sont pas améliorées, se sentent devenir une minorité sur leurs propres terres, sont marginalisés économiquement et maintenant, ils pensent en
plus qu’ils ne sont plus protégés. »

En 2005, la population immigrante était estimée à 45% des résidents en Papua. Ce chiffre devrait atteindre plus de 53% à la fin de l’année, faisant des indigènes papous une minorité sur leur propre terre. Les élites papoues se battent pour qu’une évaluation régulière de la loi d’autonomie spéciale soit effectuée. En 10 ans, aucune évaluation n’a été entreprise… Malgré
l’obligation légale faite au gouvernement. Muridan Widjojo, co-auteur de la feuille de route pour la Papua, un projet pour la paix, presse Jakarta d’engager des conversations sérieuses avec les principaux leaders locaux,
de relâcher les prisonniers politiques et de réduire la présence militaire afin
de démontrer une volonté politique de résoudre les problèmes et tensions en
Papua. Il s’appuie sur l’exemple d’Aceh pour affirmer qu’une résolution pacifique est possible en Papua. Ces intentions sont louables, et nécessaires. C’est néanmoins oublier un peu rapidement que le conflit à Aceh n’a dû son épilogue qu’au tsunami de 2004. De là à espérer une catastrophe naturelle de cette ampleur en Papua… Il reste à souhaiter que 2014 apporte à l’archipel un président pour qui l’égalité puisse aussi se réaliser dans la diversité.

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