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Mangku Mura Muriati régénère la peinture de Kamasan

Le style de peinture de Kamasan tel qu’on le connaît de nos jours n’est cependant né qu’au 18ème siècle. Le roi de Klungkung, Dewa Agung Made, avait alors demandé à ses artistes de cour, notamment au célèbre Sangging Mahendra, de produire des tableaux inspirés par le « wayang » ou théâtre d’ombres. A la demande du souverain, les thèmes classiques des grands récits épiques indiens, essentiellement le Ramayana et le Mahabharata, devraient désormais être traités avec un goût distinctement balinais. La recette fit fureur et se développa à travers toute l’île à la vitesse de l’éclair jusqu’à devenir l’archétype même de la peinture balinaise. « Les peintures de Kamasan sont un peu monotones, ce sont toujours les mêmes épisodes, les mêmes thèmes qui sont utilisés depuis toujours », commente pour sa part Mangku Mura Muriati, fille du célèbre peintre Mangku Mura et également prêtresse elle-même, dans la maison familiale sise au cœur de ce village de l’est de Bali.

Dressées en deux dimensions, vertical et horizontal, les peintures de Kamasan sont avant tout décoratives car elle n’ont aucune perspective. Mangku Mura Muriati, à sa manière, a renouvelé le genre, non pas en changeant la technique et les codes qui restent ancestraux, mais en variant les thèmes utilisés. Ainsi a-t-elle abordé des épisodes moins connus du Ramayana et du Mahabharata, comme par exemple une histoire sur la déchéance qui résulterait des jeux d’argent, un thème qui résonne avec acuité de nos jours avec ces combats de coqs qui font de plus en plus de ravages sur l’argent des ménages. Cela lui permet en fait de mêler sa fonction d’artiste à celle d’autorité morale au sein de sa communauté. « Les peintures de wayang doivent aller plus loin que l’esthétisme, elles doivent apporter un enseignement moral, être un outil de réflexion sur nos coutumes et notre culture », ajoute cette petite femme à l’œil vif et au visage serein.

On le voit, l’art et la fonction de Mangku Mura Muriati sont intimement liés. Ils ne sauraient exister l’un sans l’autre. Mais la dimension spirituelle de l’artiste, qui semble inhérente à sa position de prêtresse, remonte à beaucoup plus loin. Devenue « pemangku » à la mort de son père en 1999 et selon les vœux de ce dernier, Mangku Mura Muriati affirme cependant avoir été attirée par la spiritualité dès l’enfance. De même pour la peinture, son père ayant rapidement décelé chez elle un grand talent qui sera affiné pendant des années par le droit de finir ses toiles. Cela est cependant une tradition bien ancrée chez les artistes de Kamasan où l’on travaille en famille. Une personne prépare la toile, une autre fait les esquisses et le dessin, une autre apportera les couleurs, une autre les ornements, une autre les finitions.

« Je peins pour extérioriser ce que j’ai dans la tête. On vit une époque terrible faite de malheurs et de destructions sous l’influence de la déesse Kali. Là réside ma source d’inspiration », poursuit-elle. Il y a peu de femmes peintres à Bali et peut-être encore moins de femmes prêtres, une raison supplémentaire pour Mangku Mura Muriati de trouver sa force dans cette déesse hindoue que tous les dévots redoutent, mais qui symbolise aussi la force féminine dans la création artistique. Paradoxe encore, Mangku Mura Muriati affirme pourtant avoir toujours voulu illustrer des thèmes durs, réservés aux hommes. « Mon père souhaitait que j’aille encore plus loin que lui. Alors c’est pour ça peut-être que je suis à l’écoute des influences extérieures. Même de la télé », confie-t-elle. A témoin, ce tableau représentant une carte de l’Indonésie moderne, qu’on peut voir au centre culturel Baliwood près d’Ubud où elle expose actuellement. A l’origine une commande pour un amateur allemand, cette toile est sans aucun doute la plus étonnante de la collection présentée et montre à quel point Mangku Mura Muriati n’hésite pas à rompre avec le conformisme du genre.

Née dans une famille de douze enfants, fille d’un peintre célèbre et elle-même héritière d’une tradition séculaire, Mangku Mura Muriati vit modestement dans la demeure familiale de Kemasan. Son petit atelier poussiéreux regorgent de joyaux, des œuvres de son père, les siennes, celles d’amis. Dehors, une bannière rappelle une exposition passée dans un restaurant à touristes de Kuta. Une table bricolée maison est tout ce dont elle a besoin pour travailler. Elle y pose ses toiles ou sinon peint directement sur le sol lorsque celle-ci sont trop grandes. Esquisse au crayon puis dessin à l’encre, viennent ensuite les ornements. Les couleurs faites de pigments naturels sont apposées ultérieurement. Pas besoin de vernis, juste un polissage avec un coquillage. La préparation des toiles se fait avec un enduit de bubur (bouillie de riz) et un premier frottage. La solidité de l’œuvre est garantie. La toile peut être froissée, roulée, pliée sans dommage et semble pouvoir durer indéfiniment.

A la fois traditionnelle et réformatrice, Mangku Mura Muriati est un personnage à part dans le ronron de cette peinture de cour qui perdure depuis des siècles sous l’étiquette « classique ». Une somnolence confortée à notre époque par l’afflux des touristes toujours prêts à ramener leur petit bout d’histoire de l’art pour décorer leur trois-pièces-cuisine. En effet, les vocations ont fleuri à Kamasan, qui n’a jamais compté autant de peintres, transformant l’endroit en une sorte de petit Barbizon tropical. Il faut donc être en mesure de distinguer le bon grain de l’ivraie. La prêtresse rappelle d’un geste de la main que nombre de ces échoppes à touristes vendent surtout de pâles copies barbouillés d’acrylique. Aux vrais amateurs de savoir faire la différence.

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