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Le fonctionnement opaque et bananier de la police

Avez-vous remarqué combien la moustache représente un accessoire quasi indispensable au policier indonésien, au même titre que ses larges lunettes de soleil ? Et ce encore plus quand celui-ci monte en grade. Interrogés sur ce sujet de la plus haute importance, plusieurs amis indonésiens apportent tous la même explication : cela confère aux policiers une plus grande virilité et leur donne une impression de puissance. Interrogée également pour les besoins de cet article, une rédactrice en chef d’un grand magazine de mode confirme et explique néanmoins que cet attribut pileux est pour le moins anachronique, la moustache ayant été en Indonésie très populaire jusque dans les années 80 seulement.

Comme le prouve la survivance de leurs moustaches, les policiers indonésiens ont énormément de mal à comprendre, ou à accepter, que leur pays n’est plus dirigé par un dictateur, que l’Ordre Nouveau est enterré, qu’ils ne peuvent désormais plus facilement agir à leur guise et impunément au mépris de toutes les lois, comme cela leur était possible dans les années 80. Le KPK en fait actuellement l’amère expérience. Dans le cadre d’une enquête sur l’achat par la police en 2011 de 1256 simulateurs de conduites (deux et quatre roues) destinés aux apprentis conducteurs indonésiens, la Commission anti-corruption a déclaré suspect l’inspecteur général Djoko Susilo, ancien responsable de la Police de la route. C’est la première fois que le KPK attaque directement un général de la police en activité. L’Etat aurait perdu près de 20 millions de dollars dans l’histoire.

Cela n’aurait pu être qu’un cas de corruption supplémentaire au sommet des institutions indonésiennes. C’était sans compter sur la réaction de la police (cf. La Gazette de Bali n°88 – septembre 2012), qui apprécie peu que l’on vienne fouiller dans son fonctionnement opaque et bananier. Celle-ci a donc tenté de faire appliquer la seule loi
qu’elle connaisse et utilise, celle du plus fort. Son attention s’est focalisée sur Novel Baswedan, un ancien policier détaché au KPK, présenté comme très intelligent par ceux qui le côtoient et enquêteur en chef dans le cadre de l’affaire des simulateurs de conduite. Novel avait par ailleurs courageusement refusé de reprendre sa place dans la police pour continuer sa noble mission au sein du KPK. La police n’a rien trouvé de mieux que de vouloir l’arrêter dans le cadre d’une affaire datant de 2004 dans laquelle un de ses officiers avait tué un homme en garde à vue. Cette histoire avait vu Novel puni en tant que supérieur hiérarchique puis avait été classée.

La police a donc décidé de descendre en force un soir d’octobre au siège du KPK afin de l’arrêter. Sans mandat d’arrêt, comme au bon vieux temps, le gang des moustachus a tenté de faire jouer les muscles pour arriver à ses fins. Mais il s’est heurté à plusieurs obstacles qui n’existaient pas dans les années 80. Tout d’abord la loi, la vraie, celle que le KPK tente de faire appliquer. Ensuite la liberté de la presse et surtout le développement des réseaux sociaux. C’est en effet grâce à Twitter que des dizaines d’individus, parmi lesquels de nombreux activistes anti-corruption, se sont donné rendez-vous au siège du KPK pour faire barrage à la police ce soir-là. Devant cet embryon de révolte populaire, le président Yudhoyono n’a eu d’autre choix que de sortir de son hibernation et de demander à la police, dont il est le responsable direct, de laisser le KPK prendre en charge seul l’enquête sur ce cas de corruption. Malgré l’injonction présidentielle, la police fait depuis tout ce qu’elle peut pour empêcher le KPK de travailler efficacement. Novel Baswedan est selon ses dires victime d’intimidation et la police refuse obstinément de collaborer avec le KPK pour le bien de cette enquête, retardant tout le processus légal.

Dans cette histoire, la Police indonésienne projette une nouvelle fois une image déplorable et ridicule d’elle-même, affichant son mépris pour la population, se montrant complètement déconnectée de la réalité du pays et faisant preuve d’une arrogance qui confine à l’aveuglement en se croyant encore et toujours au-dessus de toutes les lois. Si elle en est arrivée à ce point, outre le fait que 14 ans de processus démocratique lui soient apparemment étrangers, c’est probablement que le chef de l’institution, Timur Pradopo, ne peut pas être complètement étranger au cas en cours. Son approbation fut en effet nécessaire à la réalisation du projet de simulateurs de conduite étant donné les sommes concernées.

Le président Yudhoyono et l’Indonésie ne peuvent plus faire l’économie d’une réforme complète et profonde de la police. L’Armée indonésienne fut en son temps poussée à entamer une telle réforme, elle qui était impliquée très directement à la fois en politique et dans l’économie de l’archipel. Sans être parfaite, cette réforme profonde a été acceptée par l’armée et celle-ci ne joue désormais plus le rôle majeur et terrifiant qu’elle exerçait jusqu’à la chute de Suharto.

La police n’a jamais eu le courage ni le discernement de mener à bien les réformes dont elle a besoin. Elle n’a pas compris que l’Indonésie était en évolution. Ce n’est qu’une question de temps avant que le pays ne lui fasse payer cette ignorance. Espérons que l’enquête actuellement menée par le KPK soit le premier coup de cette lente agonie. Espérons également qu’un courageux président ait un jour la bravoure politique de mettre un grand coup de pied salutaire dans cette fourmilière qu’il dirige d’un point de vue constitutionnel. Et qu’ils se rasent enfin la moustache…

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