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LE DILEMME CORNELIEN

Bien fait, c’est joli et surtout, ça va être plus simple : on va faire du béton ciré. D’ailleurs le tukang qui nous a été recommandé pour refaire la salle de bain est d’accord, rien de plus facile. C’est qu’en Indonésie, on a pour habitude de bien faire ce qu’on sait faire. Et ici le béton, on peut dire qu’on connait. Tant mieux, parce que nous, de notre côté, on est un peu pressés par le temps. Alors, quand il dit rien de plus facile, ça pourrait être jouable de tout faire en 3, 4 jours ?

Il plisse les yeux comme pour mieux visualiser son futur plan d’action puis, après quelques secondes, il conclut fermement : « Bisa, bisa! » Une réponse pleine d’assurance qu’il tempère aussitôt en nous disant qu’au pire, il y en aurait pour 10 jours. Toutes choses égales par ailleurs, ce n’est pas du tout la même chose. Plutôt un gros 3 ou un petit 10 ? Une question à laquelle il répond par une autre question : « Borongan ou harian? »

Jouant sur la même division que l’aile ou la cuisse, Mac ou PC et même couloir ou fenêtre, borongan ou barian est un dilemme qui continue d’agiter les plus grands esprits du pays sans que jamais un consensus ne semble vouloir émerger. Faut-il négocier à l’avance un prix au doigt mouillé qui sera systématiquement surévalué histoire que tout le monde ait intérêt à ce que ça aille vite, ou est-il plus judicieux de tenter la carte de la maitrise budgétaire en payant aux artisans un salaire quotidien quitte à ce que ça traine un peu des pieds pour faire durer le plaisir ?

Dans un monde parfait, ces 2 formules devraient être quasi équivalentes, l’une devant logiquement être calculée sur la base de l’autre. Mais l’Indonésie n’est pas un monde de perfection. C’est un univers fait d’harmonie et d’équilibre, tel que l’exprime très bien ce proverbe local : Good price ! Good for you, good for me! En pratique, si l’on considère de manière réaliste le nombre de personnes nécessaires pour un projet donné et le tarif auquel ils devraient être rémunérés, rien ne garantit qu’un borongan sera terminé plus rapidement ou qu’un harian sera plus économique.

Car au final, tout cela dépend du bon vouloir de forces qui nous sont bien supérieures, à savoir les impondérables. Pouvant être de nature médicale avec une blessure, une maladie ou un besoin de repos, familiale quand les phénomènes précédemment cités concernent un membre de la famille ou encore commerciale si les pièces ou les éléments nécessaires au projet s’avéraient irrémédiablement kosong. Les impondérables peuvent aussi être d’ordre créatifs quand personne ne respecte les mesures que vous aviez indiquées et téléphoniques quand du coup, vous demandez à ce que ce soit refait mais que plus personne n’est joignable.

Ainsi, le travail d’un tukang est un domaine où le futur est incertain et la fin toujours proche. Une fin qui, tel l’horizon, semble d’autant plus s’éloigner qu’on croit s’en rapprocher. Et sinon, le béton ciré ? Au moment d’attaquer mon 16ème jour de chantier, je me dis qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

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