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LA MATIERE DES REVES

Qu’avez-vous trouvé en venant à Bali ? Pour ma part, j’ai obtenu ici la réponse à toutes mes questions ! Certains disent que le voyage est une manière de fuir, de sortir de la bonne route, une illusion parfumée qui remplit d’épices la bouche des honnêtes gens et endommage leur bon sens. Au contraire, je pense que croquer le piment à pleines dents est le meilleur moyen de revenir à soi et de dissiper les doutes, quand on n’a plus la volonté de se remplir la panse ! N’ayez crainte de venir l’esprit confus, avec le sentiment d’être perdu, car cette île révèle en nous de quel bois nous sommes faits, et toutes les solutions apparaissent en même temps que fleurissent les frangipaniers. Bali apporte des idées volubiles, des bonnes comme des mauvaises, peu importe, on a le choix, car ce que l’on apprend ici dans ce temps immobile, c’est à trouver sa propre voie. Qu’est-ce qui m’amène à une telle conclusion ? Voici ce qu’il m’est arrivé un soir de janvier à Ubud, alors que j’avais l’esprit empêtré dans la peur, le doute et la confusion.

Je venais d’arriver à Bali et malgré le soleil et son éclat, mes yeux vagabondaient d’un nuage sombre à un autre, depuis quelque temps déjà. Je me demandais quelle folie m’avait poussée à venir ici, pour me perdre dans un gouffre d’inquiétude. J’entendais presque le battement d’ailes d’une chauve-souris égarée dans mon crâne, condamnée à errer dans l’abîme de mes incertitudes. La pesante humidité qui embaume en cette saison me donnait un sommeil étouffant, et loin étaient mes rêveries chargées des baisers des fleurs de bougainvilliers. Je me retournais sans cesse, comme ligotée par mes pensées, lorsque soudain, les yeux mi-clos, j’aperçus dans le mur de feuilles de palmier tressées deux brillants qui me fixaient telles deux pépites dorées. C’était un serpent. Ce corps bizarre en constriction laissait voir des bourrelets d’une peau brillante et lisse, qui se gonflait à mesure de sa respiration. Je voulu crier ! Un serpent, un serpent sous mon nez ! Mais bien vite, l’étrange bête revêtant la forme d’un Barong Naga, comme celui de la Wenara Wana, m’arrêta d’une voix brève, alors que je me sentais transportée au cœur d’une forêt balinaise : « Ne t’inquiète pas, je n’existe que dans ton esprit car je suis fait de la matière des rêves ». Le sol se mit à trembler, comme secoué de commotions, c’était l’éclat du gamelan, cette musique qui nous perd dans le dédale de notre imagination. Je tentais de m’échapper, mais mon corps demeurait immobile, comme au sommeil abandonné. Me rappelant alors qu’à Bali la notion de réalité dépend de l’heure qu’il est, je me mis à interroger ce sombre présage. « Qui es-tu, serpent dissimulé dans le tressage ? » Le reptile répondit : « N’aie crainte, j’ai bien d’autres songes à visiter et je ne suis que de passage. Je suis le visiteur des esprits égarés et toutes les nuits, je parcours les rêves de Bali endormi, des maisons les plus riches aux plus démunies. »

Parfois le sommeil vient les bras chargés de toutes nos craintes, notre esprit irrité s’agite alors avec la fragilité d’une voile contrainte à voguer dans l’instabilité. Pourtant, au matin les moiteurs de ces angoisses ont disparu, comme évaporées par le souffle tiède de l’aube. Ce que vous ignorez, à moins que vous ne l’ayez rencontré, c’est qu’un Barong Naga vient vous débarrasser de ces pensées.
Il se glisse dans votre esprit, sa souplesse lui permettant de parvenir dans les moindres recoins de votre tête en toute discrétion. Il chasse alors vos idées noires, ces mauvaises herbes dont on ne se débarrasse jamais, qui grimpent dans votre esprit jusqu’à l’étouffer. Cette plante envahissante plonge ses racines dans vos angoisses, elle se nourrit de votre solitude, propage son amertume à toute vitesse en faisant des boutures. Dans son feuillage naît une voix perfide qui vous murmure à l’oreille que vous ne valez rien, que le monde entier en a après vous, que vous feriez mieux de vous cacher sous vos couvertures pour le restant de vos jours. Mais nulle crainte, cette mauvaise herbe est aussi néfaste que fragile, et un changement de lieu peut lui être fatal. Partez à l’aventure, changez vos habitudes, marchez pour vous sortir de cette mauvaise humeur qui étouffe votre cœur ! Votre esprit débarrassé de cette végétation envahissante, des pensées plus utiles, plus solides et positives pourront naître en même temps que les premiers rayons du jour. « Mais cela marche-t-il à chaque fois ? Quelle est la réponse à ma question, mon projet va-t-il aboutir ? Où dois-je vivre ? Que dois-je décider ? » Finis-je par lui demander, emportée par l’impatience. Voici ce que me répondit le reptile, en faisant frémir ses écailles oniriques : « Quand on ne sait que décider, mieux vaut en premier aller vivre là où l’on souhaite en premier. Laisser le lieu travailler en soi, se remplir de ses paysages, de ses odeurs, de son atmosphère. Attendre que disparaissent toutes les pensées primitives et nuisibles pour que fleurissent nos propres idées ! » Alors que ces paroles rassurantes me parvenaient et que le son du gamelan disparaissait, je sentis le sommeil me border de ses doigts légers. Mais une dernière pensée me parvint : « Et si j’échouais ? ». Ce à quoi le serpent répondit par un son lointain : « On vient à Bali avec une idée, puis on en change, c’est comme ça, cela fait partie du chemin. » Et le Naga disparut dans les ténèbres, alors que mes yeux se refermaient sur ma propre obscurité.

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