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L’homosexualité en Indonésie : entre tolérance ancienne et tabou actuel

Honnêtement, j’aime bien engager de nouvelles relations avec tout le monde, même avec les communautés gay, lesbienne et transsexuelle. J’ai beaucoup d’amis homosexuels, surtout parmi les gays. En weekend, nous allons ensemble dans les bars pour prendre un café et bavarder pour échanger nos expériences sur l’amour, l’amitié, la situation dans nos familles, etc. Nous décrivons cette activité avec le terme « curhat », une contraction des mots curahan et hati (flot et cœur). Et par bonheur, ils se sentent toujours en confiance pour partager leurs problèmes avec moi. En tant qu’ami, j’essaie d’écouter tous leurs curhat et parfois j’essaie même de résoudre leurs problèmes.

L’un de ces curhat concerne leur situation en tant que gay en Indonésie, un pays qui ne leur reconnait pas encore leurs droits citoyens. L’Etat voit dans l’homosexualité une menace morale qui peut perdurer de génération en génération dans les structures familiales. Les homosexuels sont considérés comme des gens qui manquent de moralité dans ce pays où l’appréciation des pratiques sexuelles y est construite automatiquement en fonction de ce qui doit être considéré comme normal ou pas.

L’Etat a donc réussi à produire une construction structurée de la sexualité, avalisée par la religion, surtout l’islam, qui figure bien sûr à la base de cette construction. Il est indéniable que la religion a une grande influence sur ce qui est vrai et sur ce qui ne l’est pas. Une théorie validée par le fait que dieu sait tout sur tous les sujets. C’est pourquoi les gens s’en remettent à dieu pour toutes leurs actions en puisant dans la bible, le coran, etc. La société indonésienne contemporaine ne tolère pas l’homosexualité. Les gens qui ne se conforment pas à la norme hétérosexuelle vont être exclus du groupe, stigmatisés.

Un jour, j’ai rencontré un de mes anciens camarades de l’école primaire à Jakarta. Comme nous ne nous étions pas vus depuis longtemps, je l’ai invité à boire un café. Au cours de la conversation, il m’a avoué qu’il était gay, qu’il n’habitait plus en Indonésie et qu’il avait coupé les ponts avec toute sa famille. Cela m’a choqué car je savais à quel point il était proche des siens avant. Il m’a expliqué qu’à cause de son homosexualité, sa famille avait honte de lui. Rejeté par les siens, il est d’abord allé à Bandung chercher du travail. Grâce à ses compétences en français, il a rencontré un Français résidant là-bas. Deux ans plus tard, il est parti au Canada. Cette histoire est bien triste, tragique même.

Mais en fait, pour dire vrai, l’homosexualité en Indonésie n’est pas un mot nouveau. La société indonésienne est familière avec ce concept depuis des centaines d’années, avant même que les religions comme l’islam n’y pénètrent. A une époque où le mot même d’Indonésie n’existait pas encore et qu’on désignait ces îles par le mot Nusantara.

Militant pour les droits des gays, lesbiennes et transsexuels et également président de l’ONG Ourvoice Indonesia, Hartoyo s’est interrogé sur les perceptions anciennes de l’homosexualité en Indonésie en réponse à une affirmation du candidat à la cour constitutionnelle Arief Hidayat (cf. La Gazette de Bali n°95 – avril 2013) selon laquelle l’attitude de tolérance envers les homosexuels est avant tout une manifestation de la culture occidentale. « Monsieur, si vous pensez que le mariage de même sexe provient de la culture occidentale et viole la constitution de la République d’Indonésie. Pourquoi alors, les pays occidentaux entretiennent-ils encore des débats sans fin sur ce mariage, comme par exemple aux Etats-Unis », a-t-il lancé.

Des histoires oubliées
Je me souviens de cette explication de Tom Boellstroff, un anthropologue américain qui a dit qu’en créant le mot « Indonésie », on a aussi créé un nouveau concept d’« auto-conscience » induisant une coopération compliquée entre l’Etat, la religion et la culture. Par contre, quand on se réfère à l’appellation Nusantara, l’homosexualité en tant que concept redevient un sujet très banal. A l’inverse de l’Indonésie, où là, le sujet est maintenant tabou. A l’époque de Nusantara, le phénomène d’homosexualité dans les cultures du vaste archipel était bien connu et admis. Par exemple, dans les danses et certains rituels. Je prends pour exemple les Bissu de la société Bugis, au sud de Célèbes (cf. La Gazette de Bali n°58 – mars 2010).

Les Bissu sont liés à des traditions pré-islamiques. Ces communautés présentent chez les Bugis peuvent être catégorisées dans le contexte de gender sakral ou de genre sacré. Les Bissu sont souvent considérés comme un troisième genre car leurs rituels impliquent souvent la combinaison de caractéristiques des deux sexes. On croit que les Bissu sont à la fois homme et femme, mortel et divinité. Ils ont une fonction rituelle très importante : ils sont les gardiens du patrimoine royal ou pusaka. Lorsqu’ils dansent, les Bissu s’habillent à la mode androgyne, en mélangeant des vêtements d’homme et de femme. Ils portent le badi, un couteau qui symbolise la masculinité mais aussi des fleurs dans leurs cheveux pour symboliser la féminité.

Si Bissu est synonyme d’androgynie, la culture Warok Gemblak dans la danse de Reog à Ponorogo, Java-est, est elle synonyme de pédérastie. Elle met en avant la relation érotique entre le Warok et le Gemblak. Le Warok a la fonction de médiateur entre les pouvoirs supérieurs et inférieurs dans le contexte de la cosmologie. Bien que marié, il a avec lui quelques garçons entre 12 et 15 ans, qu’on appelle les Gemblak. Cela est normal et accepté par la société car il ne peut pas faire l’amour à son épouse de peur de perdre sa puissance magique. En remplacement, il peut avoir des relations sexuelles avec ses Gemblak. Quand un de ces derniers devient adulte, le Warok est en charge de lui trouver une épouse et dès qu’il est marié, sa relation avec son Warok doit automatiquement cesser.

Mais ce n’est pas qu’à Java qu’on trouve des traditions de pédérastie. Ainsi la danse Rateb Sadati à Aceh (une des provinces spéciales en Indonésie puisque baptisée serambi Mekah ou le balcon de la Mecque) est effectuée par 15 à 20 hommes autour d’un beau petit garçon. Lorsqu’ils dansent, ces hommes portent généralement un kupiah ou chapeau avec couronne en or, un manteau avec des boutons d’or et un pantalon également fort coûteux. Ils expriment également des nuances de féminité en mettant bracelets, bagues, chaînes et ceintures. Sur leurs épaules, ils accrochent des tissus rouges brodés de paons d’or. A leurs mains, ils ont des éventails.

L’homosexualité dans une communauté imaginaire
En parlant d’homosexualité dans le cadre de la construction de la nation, il est difficile de réfuter l’idée de « communauté imaginaire » telle que décrite par Benedict Anderson. Dans ce cas-là, l’imagination en question sert à regrouper toutes les variétés d’ethnicités, de classes sociales, de genres, de sexes, d’âges, etc., en un seul fondement idéologique et une seule mémoire historique. Par conséquent, une nation n’est donc pas du tout une donnée mais une invention, construite et reproduite simultanément dans un système de sens et de pratiques signifiantes.

Pour peu qu’on y ajoute certains mythes et une croyance commune sur tous les domaines, les peuples de cette nation se mettent à refuser les différences. Dans ce cas-là, le genre et la sexualité, historiquement, socialement, culturellement et métaphysiquement, sont aussi une construction qui a été définie par la structure de ce qui est « vous » et de ce qui est « nous ».

Même dans la création de l’identité nationale dans une communauté qui affirme que les valeurs, l’histoire, le mode de vie et les idéaux doivent être liés entre eux, celle-ci est un processus qui sert à identifier ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. C’est pourquoi la construction de l’identité nationale n’est jamais neutre. Elle a toujours été « classée », en faveur d’une certaine idéologie. Dans le cas de la communauté indonésienne, centrée sur une pensée d’hétéronormativité et masculine. C’est oublier que l’Indonésie a toujours eu une grande permissivité envers l’homosexualité.

A l’heure actuelle, l’homosexualité en Indonésie est encore plus discriminée, voire criminalisée. Où peuvent-ils trouver confort dans un pays si homophobe ? Comme Hartoyo a expliqué : « Monsieur, si mes amis homosexuels et moi-même n’avons pas le droit de vivre en raison de la constitution, où allons-nous mettre à l’abri ? Ne sommes-nous pas autorisés et n’avons-nous pas le droit de demander à l’Etat de vivre en paix comme les couples hétérosexuels ? Lorsque je demande à l’Etat de me protéger de toutes les formes de discrimination et de violence, est-ce que je viole la constitution ? Monsieur Arief, mes amis et moi devons toujours être prudents car il y a toujours une menace et des attaques possibles en raison de notre orientation sexuelle. Les couples hétérosexuels n’ont jamais ressenti ni vécu ce que j’ai ressenti et vécu. Tout ça à cause de l’Etat qui nous abandonne à notre condition d’homosexuels. »

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