Bruno Zysman, 53 ans, patron de start up à Bali, a fait partie du comité de gestion de l’Ecole Internationale Française de Bali pendant trois ans, la dernière année en tant que président. S’étant impliqué avec passion et professionnalisme pour le devenir des quelques 300 élèves de cette école en pleine mutation, il revient pour la Gazette de Bali sur l’exercice de son mandat et trace les contours de l’avenir de cet établissement né du rêve un peu fou des pionniers de la communauté francophone de Bali il y a un peu plus de 20 ans…
La Gazette de Bali : L’EIFB a-t-elle atteint l’âge de la maturité et de son autonomie ?
Bruno Zysman : D’un côté oui et de l’autre pas encore. Oui car cette année scolaire 2014-15 est un tournant extraordinaire car l’école va être reconnue comme un lycée, qui va jusqu’au Bac donc. Avant cela, l’école était associée au CNED, les cours par correspondance. Là, nous sommes un lycée – nous sommes d’ailleurs en train de lui chercher un nom –. De l’autre côté, cette maturité passe encore par l’organisation, la création des départements administratifs, le poste de comptable… Nous ne sommes pas encore au top du point de vue des installations sportives. L’effectif de certaines classes de primaire est déjà au maximum tandis que collège et lycée ne comptent que 109 élèves.
B Z : L’école dépend des parents, c’est une école privée à gestion parentale. Nous sommes une école très « associative », nous ne pouvons pas dépenser de l’argent sans l’accord des parents. En tant que comité de gestion, nous dépensons donc leur argent et nous devons dès lors avoir les meilleurs prix. Nous ne disposons pas d’argent public. On se débrouille et on ne peut pas avoir des initiatives qui sortent du budget. Par exemple, il nous a fallu trois ans pour mettre en place des tablettes graphiques, grâce à un budget de subvention en provenance de l’AEFE et du Sénat je crois. Comme le comité est élu pour trois ans, il n’y a pas de continuation… Mais nous avons le pouvoir à 100%. Nous pouvons décider absolument de tout sauf de la pédagogie.
Notre devoir est d’augmenter le chiffre d’affaires. On aide à la prospection, à la communication, mais on ne gère pas le quotidien. Notre rôle est de vérifier ce qui se passe. On travaille avec le directeur administratif et financier. Nous avons également recruté le management de l’école, tout le staff… On intervient sur la masse salariale. Enfin, en tant que comité de gestion, nous sommes très visibles, on vient vers nous, on reçoit les plaintes… On les redirige alors vers la direction.
LGdB : Quelle différence y a-t-il entre la gestion d’une école et celle d’une entreprise ?
B Z : Aucune ! Il faut faire du chiffre, etc. Oui, il y a quand même une différence : on connait notre chiffre avant l’exercice. C’est une aisance pour le trésorier. On peut gérer à la roupie près…
B Z : Pour nous, ça ne change rien car nous devenons une école d’ambassade. J’ai fait une demande par écrit à l’ambassade et ça doit aboutir fin décembre, conformément à la loi indonésienne. Des élèves de toutes nationalités continueront à être admis sauf les Indonésiens. Pour les élèves bi-nationaux qui ne disposent pas déjà d’un passeport français, il y aura une solution.
LGdB : Pourquoi l’EIFB est-elle obligée de recruter des profs détachés de l’Education nationale ?
B Z : Obligée par rapport à quoi ? On peut très bien engager des profs qui ne dépendent pas de l’Education nationale… On a des étrangers par exemple… Certes, il faut un minimum de profs de l’Education nationale parce que l’école est homologuée. D’ailleurs, tout ce qui est lié à leurs acquis, leur échelon, tout ça ils le conservent en venant travailler chez nous. Ils sont d’ailleurs payés en euros.
LGdB : Pourquoi le dialogue social a-t-il échoué cette année avec les représentants des profs ?
B Z : On a une convention collective. Par exemple, nous avons eu la question suivante : pourquoi conjoints et enfants des employés ont leur Kitas payé par l’école ? Ca fait partie des conventions collectives. Certains acquis semblent normaux, pour d’autres choses, ça semble difficile de les réaliser… Tout ça représente des frictions, je dirais que c’est un passage obligé lorsqu’un établissement grossit.
LGdB : Les élèves de l’EIFB sont les seuls ici à pouvoir bénéficier de bourses d’étude en fonction des revenus de leurs parents. Est-ce un point fort ou cela nuit-il à l’image de l’école ?
B Z : Un point très fort. L’écolage est très cher mais nous sommes une des écoles les moins chères du monde si on compare aux autres. On bénéficie du système des bourses. Je précise que l’école ne s’en occupe pas, elle ne fait que transmettre les dossiers. A Bali, 40% des élèves en bénéficient à peu près. Nous avons un devoir public d’accueil des élèves. Des fois, certains parents sont limites pour l’obtention d’une bourse, nous devons alors chercher une solution.
B Z : Oui, nous en avons qui ne parlent pas un mot de français. Nous avons un prof dédié FLE (français langue étrangère) qui accompagne certains de ces élèves. Ils sont une dizaine tout au plus.
LGdB : Dans dix ans, le contrat de location du terrain de l’école arrive à expiration. Que va-t-il se passer ?
B Z : On devrait avoir une nouvelle école bien avant cette date butoir. Nous avons démarré une mission prospective il y a deux ans intitulée « Ecole de demain ». On a monté un projet de déménagement. Pour cela, il faut trouver de l’argent, le terrain, les autorisations et construire. Il faut faire un prêt, avoir les garanties de l’ANEFE (Association nationale des écoles françaises à l’étranger). Nous avons caressé un moment l’idée de monter un Pôle France avec l’école, le consulat, la chambre de commerce, l’Alliance française, ça a séduit le Sénat, l’AEFE… On a déjà mis en place une étude avec un architecte. Nous avons 5 à 6 ans devant nous. Il faudrait commencer à construire d’ici deux ans.
PAROLES D’ANCIENS ELEVES
Charlotte Martinet :
Claudine Meslin: Des débuts clandestins sans homologation!
La Gazette de Bali : Dans quelles conditions avez-vous commencé à travailler à l’EIFB ?
Claudine Nguyen Meslin : Je faisais classe sur une petite terrasse de kos kosan (studios bon marché) à l’air libre, il n’y avait alors que 12 élèves en maternelle et 6 en primaire, dont quelques saisonniers. De 92 à 96, l’école n’ayant alors ni yayasan ni homologation, je travaillais illégalement, et j’ai parfois dû prendre la poudre d’escampette par les rizières quand un képi se présentait ! C’était une époque un peu héroïque : nous n’avions d’assurance ni pour l’école ni pour les enfants. Notre budget était extrêmement restreint : des salaires quasi symboliques, mais des parents très impliqués dans l’école pour que les choses évoluent.
LGdB : Pourquoi avez-vous lutté pour que l’école soit homologuée ?
C N M : On m’a proposé plusieurs fois d’en faire une école totalement privée mais je voulais qu’elle soit homologuée pour qu’elle devienne une vraie école française avec toutes les garanties que cela présente pour les parents, les élèves et les enseignants. Cela a été un long travail qui a duré plusieurs années. Je faisais le déplacement à Paris tous les ans avec d’autres parents d’élèves pour plaider notre cause à l’AEFE. A l’époque, la France avait peu d’intérêt pour l’ouverture d’une école à Bali puisqu’il y avait déjà une école à Jakarta. Bali était encore considérée comme un endroit peu sérieux peuplé de « hippies ». C’est à partir de 96 que la situation a commencé à changer : la petite école de Bali soutenue par la directrice Asie de l’AEFE, a été homologuée. Cela a coïncidé avec son déménagement à Umalas, l’emplacement actuel.
C N M : Non, bien sûr, les parents se sont succédé au comité de gestion depuis le début et ont sacrifié beaucoup de leur temps. On a toujours jonglé avec les finances, ça ne va mieux que depuis quelques années car les travaux d’agrandissement sont terminés et qu’il y a une masse critique d’élèves qui donne un peu plus de stabilité pour la gestion. Il a fallu près de 10 ans pour obtenir les premières subventions pour des travaux. Deux des directeurs de l’EIFB ont eu un rôle primordial: Yann Loic Ferré et Pascal Vallet. Avec des personnalités extrêmement différentes, ils ont tous les deux fait un travail énorme pour l’école et son développement. L’EIFB étant maintenant une institution bien assise, il ne faudrait pas qu’elle perde son esprit combatif et son enracinement dans la culture balinaise.
LGdB : Comment qualifieriez-vous l’aventure que vous avez vécue à l’EIFB ?
C N M : Cette aventure a été pour moi une expérience extraordinaire, avec parfois des moments difficiles, mais toujours récompensés par le bonheur de pouvoir suivre le parcours des enfants de la maternelle au primaire, puis au secondaire. La petite école française de Bali reste pour moi et la plupart des élèves qui l’ont fréquentée une école unique au monde où chacun a engrangé de magnifiques souvenirs.
Indiana Grassot Colonna :
jusqu’en 4ème !! Car très peu de temps après que l’école française a déménagé à Umalas, Brigitte a commencé à offrir des cours de soutien avec le CNED chez elle à Jimbaran, et nous l’avons tous suivie. A partir de là, je ne suis allée à l’école française que pour suivre des activités extra-scolaires : du silat (art martial indonésien) et des cours de théâtre avec Carine François. En somme je dois dire que je n’ai que des bons souvenirs de ma scolarité à l’école française ou à Bali, je pense surtout que nous étions très chanceux d’avoir fait partie de cette époque où Bali était encore le paradis sur terre où notre curiosité enfantine avait tout à découvrir. Maintenant je vis depuis 3 ans et demi à Victoria (sur l’île de Vancouver) en Colombie Britannique au Canada, j’y ai fini mes études de médecine chinoise et viens de revenir d’un contrat de 7 mois en tant qu’acupuncteur sur le Nieuw Amsterdam, un bateau de croisière de la compagnie Holland America. »
Tetiavai Babbucci
Bruno Delvallée, inspecteur de l’Education Nationale basé à Bangkok, était de passage à l’EIFB au moment où nous préparions cet article, il a accepté de répondre à nos questions.
Un apprentissage multilingue bien plus formateur que le seul enseignement anglais
LGdB : Les écoles françaises se développent-elles à l’étranger ?
LGdB : Toutes les écoles françaises sont-elles homologuées ?
B D : Non, mais c’est comme un label qui leur donne à la fois plus de solidité et une meilleure réputation. On n’en a jamais vu une seule homologuée qui se soit cassée la figure. Ca garantit à la fois le respect des programmes français, la possibilité d’avoir des bourses, des profs détachés de l’Education Nationale et le fait d’être rattachée à un réseau de 500 écoles françaises dans le monde. C’est une garantie, pas une contrainte. On a toutes sortes de profils parmi les écoles françaises de l’étranger : un euro-campus à Manille regroupant une école française et allemande qui mutualisent leurs installations sportives ; le lycée de Hongkong qui accueille une section britannique ; à Phuket, l’école britannique héberge l’école française…
LGdB : Quels sont les points forts de l’EIFB ?
B D : Dans les écoles françaises de l’étranger, non seulement l’échec scolaire est quasiment inexistant mais on forme des enfants bilingues et souvent trilingues. L’EIFB est très en pointe sur l’enseignement des langues étrangères avec l’anglais dès la maternelle. En primaire en métropole, face à l’heure et demie théorique de l’enseignement de l’anglais, à Bali, il y a 5 heures d’anglais délivrées aussi à travers l’enseignement de matière comme les maths ou le sport (Enseignement d’une Matière Intégré à une Langue Etrangère) et 2 heures d’enseignement de l’indonésien. Et dès la 6ème, les élèves de l’EIFB sont confrontés en plus à l’espagnol.
LGdB : Qu’objectez-vous aux parents français qui choisissent des écoles anglo-saxonnes pour leurs enfants ?
B D : D’abord, ils privent leurs enfants d’acquérir de vraies bases de culture française, d’écrire correctement leur langue maternelle et d’avoir un apprentissage multilingue bien plus formateur et complexe que le seul enseignement en anglais. A l’EIFB, tous les enfants que j’observe dans l’école et qui ont commencé à la maternelle parlent couramment anglais, ils n’auront donc pas de complexe dans cette langue plus tard comme leurs parents. Ensuite, ils craignent sans doute que leurs enfants soient pénalisés par le Bac pour leurs études supérieures. Ce n’est pas vrai parce que c’est un diplôme bien reconnu depuis 150 ans. Adjoint à un certificat de langues comme le TOEFL pour l’anglais ou DELE pour l’espagnol, on peut rentrer dans n’importe quelle université dans le monde. Sachez aussi qu’au Canada, une moyenne de 12 au bac est revalorisée à 16, le Bac a la côte ! Traditionnellement, l’enseignement français est plus académique et l’anglais plus centré sur le développement personnel, ça donne d’un côté des étudiants qui accèdent directement en deuxième année de fac aux USA et de l’autre des élèves plus doués pour communiquer, faire des exposés et des discours… Actuellement, c’est en Australie qu’on est le plus avancé sur cette harmonisation entre ces deux modes d’enseignement, on s’est inspiré de leurs méthodes pour rendre nos élèves plus acteurs de leur apprentissage. A Bali, c’est déjà acquis aussi en primaire, les enfants travaillent beaucoup en atelier et par groupe de niveaux, l’évaluation est positive. Il y a une vraie révolution pédagogique en cours dans les écoles françaises à l’étranger, plus de liberté pour faire évoluer l’enseignement sans doute parce que les structures sont privées et en concurrence avec d’autres écoles.
PAROLES D’INSTIT’
Gilles Delhote
PAROLES D’ANCIEN ELEVE
Alice Hérisson
PAROLES DE PARENT
Kathia Haymoz, de nationalité suisse
« Je suis arrivée de Santiago du Chili il y a un an avec mon mari et mes deux enfants de 6 et 10 ans. J’avais fait le choix au Chili de scolariser mes enfants au lycée français. Je voulais pour eux une éducation diversifiée, qui baigne un peu plus dans la culture et qui ne soit pas non plus centrée seulement sur l’Amérique. Je voulais qu’ils apprennent différentes langues, qu’ils aient la possibilité un jour de pouvoir étudier dans le pays de leur choix. Qu’ils ne soient pas limités par un seul système d’éducation mais qu’ils aient ouverture d’esprit grâce à la diversité d’une éducation différente et intégrale. L’avantage du réseau des écoles françaises AEFE, c’est qu’en arrivant, il n’y avait aucun décalage avec le programme qu’ils suivaient. La bonne surprise à Bali, ça a été l’enseignement de l’anglais, intégré dans l’enseignement de certaines matières et surtout la faculté de pouvoir parler anglais tous les jours dans leur environnement proche […] Cette école de Bali à dimension humaine qui compte à peine 300 élèves a une grande différence positive pour les enfants et je ressens que les professeurs aussi sont contents d’être ici. Comme Bali est loin de proposer la même chose qu’une grande ville développée en terme d’offres et de produits culturels, je constate que les profs déploient aussi beaucoup d’efforts pour compenser cela, ils se creusent en permanence la tête pour motiver leurs élèves, les exciter intellectuellement et en les motivant avec des méthodes d’enseignement modernes et de pointe. »