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KELAS INTERNASIONAL : UN PEU DE RACISME ORDINAIRE MAIS C’EST POUR RIRE

Les Chinois sont-ils radins ? Les Africains sont-ils naïfs ? Les Japonais sont-ils incapables de prononcer les L ? Sur la chaîne Net, en réseau hertzien national et non pas sur Internet comme son nom pourrait le laisser croire, on peut voir depuis 2015 entre 19h et 20h (WITA) une série télé qui connait un succès important auprès des Indonésiens : Kelas Internasional. Déjà à sa troisième saison, cette sitcom met en scène des étrangers qui se perfectionnent en bahasa indonesia dans une école à Jakarta. Etant donné le registre de situation de comédie, nous sommes là dans la grosse farce. Et de finesse, il n’y a point ! A l’origine de Kelas International, on trouve en fait une série télé anglaise de la fin des années 70 : Mind your Language, qui a fini par être retirée des programmations dans les années 80 parce qu’elle mettait en scène des stéréotypes raciaux et que cela était devenu politiquement incorrect. Un peu comme quand les Français se penchent à nouveau sur « Les étrangers sont nuls » de Pierre Desproges. Cela fait toujours rire certes, mais on se demande néanmoins comment il était possible de dire tout cela en public auparavant. Même pour rire.

Et l’Indonésie semble bien rire à gorge déployée devant Kelas Internasional, même si ses scénaristes sont loin de pouvoir être crédités de la même finesse d’esprit que Pierre Desproges. Le casting regroupe une brochette de comédiens étrangers plus ou moins talentueux qui caricaturent avec plus ou moins de bonheur les nationalités qu’ils sont censés représenter. Notamment en gardant un accent épais. En superstar, on trouve media03
le Nigérian Abbas (Abbas Aminu), plutôt naïf pour ne pas dire simplet, il est souvent moqué pour ses odeurs corporelles et son indonésien bourré de fautes. En plus, Abbas a du mal à prononcer les mots avec « ng ». Bonne pâte, il a sans doute la cote de sympathie la plus forte auprès des téléspectateurs et s’est imposé au fil du temps comme une des stars de la série. D’autant que c’est en plus un fan inconditionnel de Rhoma Irama. Un Africain qui mime la star nationale du dangdut, c’est un peu comme si, en France, il y avait un Indonésien qui se prenait pour Johnny dans une sitcom…

Qui a dit que les Chinois étaient les Juifs de l’Asie ?
media02La 2ème star de la série est sans conteste la Chinoise Ling Ling (Wiwiek Michiko) dont l’indonésien chanté avec des intonations chinoises est parfaitement rendu et fait mourir de rire… L’actrice est excellente et incarne avec talent son rôle de chinoise intéressée, radine et usurière qui a toujours une solution à tous les problèmes tant que cela peut lui rapporter de l’argent. Quelqu’un a besoin de quelque chose, hop, elle le sort de son sac en un tournemain et le propose à un prix prohibitif. Pas une seconde, son esprit ne perd l’objectif du profit. Ling Ling compte tout comme une calculette. Employée dans une banque, elle tient également un café chic avec son associée canadienne Nicole et se lance constamment dans toutes sortes de business. Qui a dit que les Chinois étaient les Juifs de l’Asie ?

Kotaro-san (Nobuyuki Suzuki) est un vieux monsieur japonais sobre aux cheveux teints. Raide de corps et rigide d’esprit comme sont supposés être les Japonais, Kotaro transforme les L en R gutturaux. Et comme les L sont nombreux en bahasa indonesia, on ne peut que saluer la performance de l’acteur, un résident de longue date en Indonésie qui a déjà travaillé au théâtre ici. Toujours à faire des courbettes polies, c’est donc un petit monsieur très sérieux qui ne rit jamais mais qui a bon cœur. Ami d’Abbas – ils partagent le même kos – Kotaro pourrait représenter dans l’imaginaire français ou occidentale une certaine rigidité toute… germanique. Une rectitude qui le handicape dans l’univers indonésien et dont abuse quelquefois son ami Abbas, pas si naïf que cela finalement.

Citons encore le Sud-Coréen Lee Jeong Yoo (Lee Jeong Hoon), beau gosse maniéré qui passe son temps à se looker de façon improbable et qui parle un indonésien à peine compréhensible en répétant constamment les mêmes phrases. Ex-membre de boys band raté, Lee est un gosse de riche un peu fat qui change de coiffure à chaque épisode. Nicole (Simone Julia), la Canadienne, est du genre modèle de magazine pour homme et elle incarne le fantasme de la femme bule dans l’imaginaire indonésien. Sexy mais garce, mauvaise comme une teigne (judes, dirait-on en bahasa indonesia), elle n’a d’égale dans sa vacherie que Kristof (John Packer), un vieil Hongrois qui râle tout le temps et qui se met en colère pour un rien. Qui a dit que le vieux crabe occidental râle tout le temps ? Kristof est aussi un prétendant éperdu et continuellement éconduit de la corpulente et peu commode directrice de l’école, Bu Rika. N’oublions pas l’Américain noir à casquette de rappeur (Langston Hues) qui dit « Yo ! » sans arrêt et puis aussi la Russe, la Brésilienne, l’Indienne, l’Australien, le Colombien, etc. A la 3ème saison, certains ont disparu, des nouveaux sont apparus et on n’a pas encore vu de Français. On aimerait bien sûr y voir la star comique Fransoa qui ferait un personnage parfait dans la série (cf. La Gazette de Bali n°66 – novembre 2010).

Les Indonésiens ont le beau rôle bien sûr…
Fait étrange et aussi marquant, tous ces étrangers loufoques semblent évoluer dans la capitale comme s’ils étaient parfaitement chez eux et intégrés au décor. Il leur arrive de travailler dans des professions improbables a priori, comme conducteur de bajaj, de becak ou d’ojek (existe-t-il un KITAS pour ces catégories professionnelles ?). Si Ling Ling et Nicole possèdent un café chic où elles emploient leur amie russe comme… serveuse, dans un autre épisode, Abbas et Kotaro ouvrent carrément un warung devant leur kos. D’autres encore font de la vente au porte-à-porte ou les camelots dans la rue avec un plateau de boissons autour du cou ! Kotaro devient même potong rambut (coiffeur) dans un épisode. Avec Kelas Internasional, on rigole bien mais c’est vraiment de la fiction totale !

Et les Indonésiens dans tout cela ? Ils ont bien évidemment le beau rôle. Chez eux, bien au centre, au milieu de tous ces dingos, dans une école où on enseigne leur langue, on les trouve dans les rôles de Bu Rika, la directrice de l’école (Maya Wulan), de Pak Budi, le prof d’indonésien (Tarra Budiman), de Bu Ice, la tenancière du kos (Ira Maya Sopha), de Sueb, le technicien de surface (Boy Idrus) ou encore de Bu Kantini, la responsable de la cafeteria (Niniek Arum). Seuls êtres sensés face à cet aréopage de frapadingues étrangers stéréotypés aussi infantiles que des mômes dans une cour de maternelle, les personnages indonésiens paternalistes incarnent la raison, l’autorité, le savoir et le bon sens. Et il faut bien avouer que même si on rigole bien en regardant Kelas Internasional, cela reste malgré tout un peu agaçant pour qui n’est pas de pure souche locale. D’autant que si on se réfère à la loi indonésienne, se moquer des autres en raison de leur ethnicité, de leur religion, de leur race ou de leur appartenance communautaire (SARA) est ici passible de prison. Ah oui, mais pas si celui qui est moqué est étranger ?

Alors, y aurait-il deux façons de voir l’autre en Indonésie ? Les Indonésiens s’interdisent de s’entre-moquer d’eux-mêmes – le pays est en effet constitué d’une myriade de groupes ethniques différents – mais ils font cause commune pour s’en payer une bonne tranche sur le dos des étrangers. Oh, certes, il s’agit d’humour, et bon enfant, ni insulte, ni fiel. Aucune agression caractérisée. Non, juste des clichés éculés. Amusant de penser qu’en France, pas besoin de loi SARA, même au niveau strictement national, on ne dit plus que les Auvergnats sont radins ou que les Corses sont fainéants. Et on en dit encore moins au sujet des populations issues de l’immigration. L’humour à la Desproges a fait son temps. Ici, on a d’un côté, une hyper sensitivité sur son identité nationale (difficilement constituée certes) et de l’autre, une grande légèreté de ton à l’encontre des étrangers, comme l’illustre parfaitement cette série télé populaire diffusée à une heure de grande audience sur une chaîne nationale. Et qui a encore de beaux jours devant elle. Alors, ne la ratez pas !

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