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Jilboobs kommunitas : musulmanes et sexy

Ces derniers temps, les gens de notre communauté francophone qui connaissent l’Indonésie depuis un moment font souvent cette réflexion : ne trouvez-vous pas qu’on voit de plus en plus de filles « bâchées » par ici ? Si les allergies françaises aux tchadors et autres burqa n’échappent pas aux Indonésiens, qui s’en étonnent régulièrement dans leurs journaux, il apparait donc logique qu’en retour ces Français s’inquiètent du renforcement de l’islam dans l’Archipel. Un renforcement qui est réapparu depuis la fin du régime de Suharto. Le vieux général avait en effet parfaitement su tenir à distance les fondamentalistes pendant son règne de 32 ans mais, comme nous le répétons souvent dans cette rubrique, la liberté de parole acquise depuis la reformasi a surtout profité aux religieux. Car ce sont eux qui parlent le plus fort.

Bref, il est indéniable qu’un nombre grandissant d’Indonésiennes adhérent, à leur façon, aux codes vestimentaires qu’imposent normalement leur religion. Toutefois, ce n’est pas le « bâchage » à la saoudienne qui prévaut ici où la majorité des femmes optent pour les simples jilbab ou kerudung. Conformisme social ou phénomène de mode, certains y voient même une aubaine économique puisque le pays s’est depuis autoproclamé « centre mondial de la mode islamique ». Et il est vrai que l’Indonésie en possède tous les atouts. Quinzaine « Moslem Fashion », concours international de « Miss Muslimah », le pays affiche une ferveur toute particulière pour cette nouvelle façon de s’habiller, les femmes en tête bien évidemment. Il en résulte un bourgeonnement de créativité extraordinaire porté par les stars qui se pavanent dans des tenues extravagantes et colorées qu’on dirait tout droit sorties d’un conte des mille et une nuits revu par Pierre et Gilles.
Si ces tenues chatoyantes attiraient déjà l’ire des fondamentalistes, qu’en est-il de cette nouvelle mode des muslimah sexy qui est apparue ces derniers temps sur les réseaux sociaux ? En effet, le mois dernier a vu des débats animés autour de ce nouveau courant lié à la mode musulmane locale et qui porte l’acronyme Jilboobs pour jilbab (hijab) et boobs (nichons en anglais). Voir la page FaceBook Jilboobs Kommunitas. Qui n’a pas encore vu une de ses jilbabes, comme on dit aussi, dans le supermarché ou le warung du coin ? La tête couverte certes, mais le reste du corps agrémenté d’un top moulant (à manches longues) avec le Wonderbra indonésien de rigueur en dessous, d’une paire de skinny jeans, de hauts talons, sans oublier le maquillage, les ongles faits, les bijoux… La jilbabe affirme une chose et son contraire. Elle a caché ses charmes (tutup aurat) comme sa religion l’exige (ou la pression sociale), pour mieux les révéler… par une voie détournée.

Cela n’est pas du goût de tout le monde bien évidemment et le pays se retrouve une nouvelle fois partagé devant son dilemme de toujours : occidentalisation ou islam ? Si les jilbabes de la Jilboobs Kommunitas répondent à leur façon en optant pour les deux en même temps, les fondamentalistes et les dignitaires musulmans sont d’un avis différent. Dans le quotidien Arrahmah, les fous de dieu crient : « Gare au péché jilboobs ! Joli visage entouré d’un foulard coloré, accompagné d’un top moulant à manches longues et de jeans super serrés qui font apparaître les formes du corps. C’est très dommage mais ce phénomène se répand en ce moment parmi nos musulmanes. » Des musulmanes qui rétorquent que leurs appâts sont pourtant bien couverts. Et le journal de rappeler la règle sur la base des hadits : voile obligatoire, vêtements amples, pas de bijoux, pas de couleurs, pas de maquillage, pas de parfums afin que la gent féminine ne soit pas « dérangée » par les hommes « nakal ».

Dans la foulée et dans le but de clarifier ces évidences qui semblent avoir été mal comprises, le Conseil des oulémas indonésiens (MUI) a issu une fatwa interdisant les abus précités, afin que tout rentre dans l’ordre et que le buzz retombe enfin. Mais il est peu probable que cette fatwa soit suivie d’effet. Asia Sentinel rappelle en effet que ce n’est pas la première fois que le MUI interdit « ces sortes de choses, des chanteuses de dangdut qui gigotent aux films occidentaux, et cela reste largement ignoré. » Tout le monde s’en est mêlé, des psys aux sociologues, jusqu’à la Commission pour la protection de l’enfance (KPAI), car le phénomène toucherait beaucoup d’adolescentes. « Il faut rappeler à nos créateurs de mode et à nos entrepreneurs de la confection de faire des beaux vêtements, à la mode, qui prennent en compte la correction et les usages  », a affirmé un responsable de la KPAI.

La célèbre psychologue de la télé Rose Mini a parfaitement résumé la situation en affirmant qu’« un certain nombre de musulmanes faisaient beaucoup d’efforts pour avoir l’air de suivre la mode mais ne comprenaient pas que ce qu’elles faisaient était justement une erreur du point de vue musulman. » Et Rose Mini de rappeler que quand une femme décide de porter le jilbab, il faut qu’elle se sente prête car quand une muslimah ne se conduit pas comme elle devrait, « c’est l’islam qui s’en retrouve souillé. » Dans le journal Kompas, on a enquêté aussi sur le phénomène Jilboobs Kommunitas en interviewant une créatrice de mode islamique de Samarinda (Kalimantan), celle-ci affirme : « Jilboobs à vrai dire, c’est un mot pour désigner des tenues sexy alors qu’on utilise le kerudung. A Samarinda, en général, les femmes utilisent le hijab à la mode fashion. Par exemple, il y a le modèle tissu avec des sangles ou le modèle vintage, ça a quand même toujours l’air sexy, n’est-ce pas  ? »

Rose Mini a raison, et apparemment, ce ne sont pas seulement certaines musulmanes qui ne comprennent pas, à moins que cette créatrice de Samarinda ne mesure pas le sens du mot sexy. Ou lui prête un sens différent de ce qui est communément admis. Bref, et en conclusion, il n’est pas complètement illégitime de poser la question de la pertinence des mœurs de l’islam sur des populations d’insulaires des tropiques. N’y aurait-il pas maldonne ? C’est certes s’aventurer que de vouloir définir les caractéristiques des peuples en fonction du climat. Mais ce n’est pas complètement idiot non plus. Des gens savants comme les ethno-sociologues sauraient y apporter des éléments d’explication. Par exemple et à l’inverse, pourrait-on envisager avec sérieux l’idée que les territoires nord-européens soit une terre de prédilection de l’hindouisme ? Cela serait-il plausible ? Les religions sont souvent des produits d’importation car, on le sait, nul n’est prophète en son pays. Néanmoins, ces importations subissent naturellement des modifications afin de s’adapter au mieux au goût local. N’en déplaise aux clergés et autres gardiens du culte, puisque chassez le naturel… et il revient au galop !

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