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JAKARTA S’OFFRE UN NOUVEAU GOUVERNEUR EN LA PERSONNE D’ANIES BASWEDAN

Avec une majorité bien plus nette qu’attendue (plus de 55% des voix au second tour en attendant les résultats officiels) Anies Baswedan a été élu le 19 avril dernier gouverneur de Jakarta face au sortant Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok. Les explications et implications de ce résultat sont nombreuses. Et anxiogènes…

Brexit, Trump, Erdogan, Duterte, Anies Baswedan. L’analogie est facile, mais elle n’est pas sans fondement. On ne fait pas là référence à la personnalité du futur gouverneur de la capitale indonésienne, qui ne mérite aujourd’hui aucun procès en incompétence, en tyrannie, en folie meurtrière ou en culte de la personnalité. Mais les résultats de cette élection majeure en Indonésie rappellent d’autres résultats récents dans leur irrationalité, et dans l’ouverture qu’ils offrent vers un futur incertain et quelque peu effrayant.

Anies Baswedan sera donc à partir d’octobre prochain le gouverneur de Jakarta (en association avec le jeune homme d’affaires Sandiaga Uno au poste de vice-gouverneur), et il apparait ainsi évidemment comme le grand vainqueur de cette élection qui fait de lui de facto un personnage désormais central de la scène politique nationale. Ancien recteur d’université, ancien ministre de l’Education dans le gouvernement du président actuel Jokowi, il a aussi pendant cette campagne donné l’impression d’être un ancien musulman libéral et modéré.

Car cette élection ne s’est pas jouée sur une bataille de programmes, mais sur la légitimité ou non de faire confiance à un gouverneur d’origine chinoise et chrétien dans une ville et un pays à majorité musulmane. Voilà comment un gouverneur crédité de 70% d’opinions favorables sur son action à la tête de la mégalopole indonésienne, et dont chacun s’accorde à dire qu’il est le meilleur gouverneur que Jakarta ait connu depuis des décennies, se retrouve sans mandat pour continuer le développement de son action et de la ville. Les électeurs de Jakarta, dans un formidable élan raciste, islamiste et irrationnel, ont donc dans leur majorité décidé que la compétence, l’efficacité et l’intégrité représentaient des facteurs moins importants que la religion ou l’origine ethnique de leur leader.

Une victoire de l’islam en politique indonésienne
Anies Baswedan, s’il n’a jamais directement attaqué Ahok personnellement sur ces questions, est un homme bien trop intelligent pour s’éviter de profiter de cet avantage comparatif. En courtisant le vote islamiste, en faisant campagne dans les mosquées et en invoquant même a la veille du scrutin la bataille de Badr (considérée comme une bataille décisive des origines de l’islam qui, remportée par Mahomet, permettra au Prophète d’asseoir sa légitimité face à ses opposants grâce à une intervention divine), il a contribué à garder cette élection sur le terrain religieux.

C’est précisément dans l’islam politique que l’on trouve le deuxième grand vainqueur de cette élection. Présentée jusqu’au cliché par tous les leaders étrangers en visite, du président Hollande au vice-président américain Mike Pence pour les plus récents comme un modèle d’islam libéral et modéré, l’Indonésie semble s’imaginer un autre futur. Autrefois parasite, – les partis islamistes n’ayant jamais été majoritaires dans les grandes élections – l’islam politique vient de s’offrir avec Jakarta un succès majuscule. La porte est désormais grande ouverte. Toute l’Indonésie vient d’être témoin de l’efficacité politique que peut représenter le jeu de la carte religieuse musulmane. Il y a cinq ans déjà à Jakarta Fauzi Bowo avait essayé de l’utiliser face au ticket Jokowi-Ahok. Sans succès. De même dans une campagne présidentielle de 2014 qu’on s’attendait à être d’un niveau de bassesse ultime. Sans succès.national01

Mais le 19 avril vient de faire voler tout cela en éclats. Désormais chacun sait que l’islam politique peut faire remporter une élection. Et il ne faudra pas attendre plus loin que la prochaine élection présidentielle de 2019 pour observer la place centrale qu’il a désormais acquis. Un visage l’incarne même. Habib Rizieq a réussi à mettre dans la rue des centaines de milliers de musulmans à plusieurs reprises et à envoyer Ahok devant les tribunaux pour blasphème. Le leader du Front de Défense de l’Islam (FPI), il y a encore peu considéré comme le gourou d’une bande de casseurs décérébrés, partage maintenant la table des puissants.

La visite d’Anies Baswedan au quartier général du FPI a été un tournant majeur de la campagne. A l’annonce des résultats, on a vu Habib Rizieq main dans la main avec Prabowo. Le patron du parti Gerindra et ancien candidat malheureux à la présidentielle de 2014, principal soutien d’Anies, a même remercié le leader du FPI pour avoir aidé à « sauver la démocratie ». Quand on sait que le FPI ne croit qu’en la loi coranique, et a une échelle supérieure à la création d’un califat, la phrase revêt un caractère merveilleux d’hypocrisie.

Prabowo, issu de la vieille garde, rebondit grâce à l’islam
Prabowo est ainsi le troisième grand vainqueur de cette élection. Avec les autres grandes fortunes soutiens de la campagne d’Anies Baswedan (son frère Hashim Djojohadikusumo, Aburizal Bakrie ou Harry Tanoe, le patron de MNC et partenaire économique de Donald Trump en Indonésie, dont les origines chinoises et la religion ont moins contrarié le FPI que celles d’Ahok), il ressort à nouveau comme un candidat très crédible à la présidence dans deux ans. Fort de cette élection, de ses soutiens financiers et de la nouvelle légitimité de l’islam politique, il va désormais s’attaquer à Jokowi.

Jakarta n’était qu’une étape, aussi importante soit elle, sur le chemin de la conquête du pouvoir. L’objectif reste la présidence du pays. Jokowi a pour lui sa popularité, son intégrité et un bilan (mais Ahok l’avait également) et il n’est pas issu d’une minorité ethnique ou religieuse. Mais il est aussi extérieur à l’oligarchie qui a toujours dominé le pouvoir dans l’Archipel. Et à ce titre, il empêche certainement celle-ci d’opérer selon ses propres règles, celles du passé.

Quant à Ahok, très digne dans la défaite, son avenir reste en suspens. Sa campagne n’a pas permis de convaincre une majorité des électeurs du caractère secondaire de la question religieuse. Son action à la tête de la capitale semble aussi ne pas avoir convaincu les classes moyennes et moyennes inférieures. On savait que les évictions de milliers d’habitants pour son programme contre les inondations allaient lui aliéner une partie de l’électorat le plus pauvre. Les classes moyennes inférieures, qui représentent encore une majorité de l’électorat, n’ont apparemment pas non plus été convaincues par son action. Jakarta n’aura peut-être pas l’occasion de s’offrir un leader aussi efficace et intègre qu’Ahok avant très longtemps. Mais le mérite-t-elle vraiment ?

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