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Homosexualité : un point de vue depuis la capitale

Des dizaines de milliers d’îles, des dizaines d’ethnies différentes, un niveau d’éducation nationale très bas, pas de congés payés, pas de sécurité sociale, pas de retraites. La famille au sens large est le seul refuge ici, les parents ont donc une mainmise énorme sur leur progéniture et ce, à n’importe quel âge. Et puisque le pays est encore loin d’avoir gagné la bataille du laïque, cela va sans dire, beaucoup de textes de lois sont largement inspirés de la charia. Près de 28 lois nationales ou régionales ont été répertoriées par les associations LGTB (lesbian, gay, transgendered and bisexual) indonésiennes comme discriminatoires. La bête noire étant la sodomie. Dans la plupart des cas, ces lois sont proprement inapplicables puisque elles exigent qu’au moins trois témoins visuels à la respectabilité reconnue fassent une déposition pour qu’une condamnation puisse être prononcée. La peine peut aller jusqu’à 17 ans de prison. Notons enfin que cette loi avait été renforcée lors de la présidence de Megawati.

Concrètement, ici, s’aimer entre personne de même sexe, c’est se battre tous les jours pour se faire accepter et échouer la plupart du temps tant il est difficile de faire changer certaines mentalités. Bien qu’inapplicables, ces lois n’en restent pas moins discriminatoires, particulièrement au sein des mini-sociétés que sont les provinces où l’on trouve des villages et des familles encore structurés comme cela était le cas en Europe au début du siècle dernier. Le manque d’éducation, l’absence de référent gay autre que des artistes de télé dont on se moque, empêchent tout épanouissement de la communauté. D’autant que le très faible niveau d’anglais et un Internet balbutiant barrent l’accès à une information de qualité sur le sujet. Bien sûr, Gaydar (site de rencontre gay) fonctionne partout dans le monde. Mais soyons honnêtes, Gaydar Indonésie ne fait que créer un pont entre des jeunes d’ici à la recherche de « sugar daddies » occidentaux, résumant ainsi le problème indonésien tout entier sur le sujet.

Le gay local ne serait-il qu’un beau fiancé incapable de se prendre en charge ? Honnêtement, homo ou hétéro, ça ne change rien à l’affaire. On sait que n’importe quel bule au physique improbable et à la carrière inexistante, sur lequel personne ne se retourne  chez lui et qui est peut-être à deux doigts du suicide social, devient ici le centre de toutes les attentions. Tout lui sera permis, filles et garçons se jetteront à ses pieds et à sa braguette. Les portes de la plupart des clubs de la capitale lui seront grande ouvertes. Le schéma type du couple est alors pour tous le même : un amour utile et intéressé, pourrait-on dire très « grand siècle » pour mieux faire passer son ridicule ? Les Occidentaux  gays qui arrivent par vagues sur Bali et Jakarta ne font rien pour donner ou transmettre un message positif. Il se servent et repartent en ne laissant souvent derrière eux que des promesses non tenues à des « money boys » sans perspectives, plein de rêves formatés par la culture MTV. Le  jean baggy a donc remplacé le corset, le sida, la tuberculose, mais l’hypocrisie et l’intérêt malsain restent les mêmes. Les jeunes gays indonésiens ne voient à travers le compagnon venu d’ailleurs qu’une poignée de dollars sur pattes et parfois un possible visa pour aller voir ailleurs. Les quelques clubs indonésiens gays de Jakarta ou Bali retranscrivent à la lettre cette ambiance où jalousie, maladresse, excès, enfantillage annihilent toutes velléités de conscience et de fierté. Mais au fait, la fierté c’est quoi ?

Enfin, il y a l’amalgame entre toutes les sexualités. Le travestissement (maladie reconnue), par goût ou par fétichisme et qui n’est pas obligatoirement lié à la sexualité, et l’homosexualité sont ici la même chose. Pas de distinguo. On sait cependant que les transsexuels ont eu sur certaines îles de l’archipel un rôle en tant qu’initiateur sexuel. Un pouvoir mystique et religieux leur a même été attribué. Aujourd’hui, les transsexuels ou travestis (rares sont ceux qui sont opérés) sont donc devenus les éléments visibles. Avec la « folle », autre personnage récurrent, ils remplissent un rôle reconnu et apprécié de tous, celui du clown… Chaque chaîne de télévision a le sien, chaque feuilleton aussi. Le personnage est stéréotypé et se retrouve à toutes les sauces dans ce qu’il revêt de plus comique, de plus outrancier. Cette créature fait rire les familles et ne remet surtout pas en question la virilité masculine. Nous sommes là devant le cliché connu de la folle perdue. Le gay, tombant sous le coup de la loi, n’est toléré qu’efféminé et très voyant. Ainsi, il n’est identifiable à rien de connu dans l’entourage familial. Ca n’est potentiellement ni le fils, ni le mari, ni le frère…

Il y a deux ans, les associations LGTB indonésiennes se sont rendues devant le ministère de la Justice et des Droits de l’Homme pour dénoncer les lois régionales et leurs effets désastreux. Principalement, cette migration avérée vers les grandes villes d’une population, bannie de facto, qui vient alimenter les rangs de la prostitution urbaine… Malheureusement, on sait qu’il est impossible au gouvernement de Jakarta d’intervenir localement même si des projets d’annulation de ces lois d’autonomie régionale refont surface régulièrement au parlement. Mais pour d’autres raisons que celles liées à l’homosexualité. En auraient-ils de toute façon la volonté ?

Aujourd’hui, des soirées s’organisent en plus grand nombre, house ou techno. On ose un peu plus aborder les tee-shirts à caractère préventif ou revendicatif. Mieux dans sa fête que dans sa peau… La communauté se protége des autres et s’emprisonne en même temps. L’Indonésie reste un pays magnifique et accueillant, plein de paradoxes et riche de culture, mais aussi d’un autre âge, mal considéré par ses voisins asiatiques, un éternel convalescent oscillant entre rémission et rechute. Jakarta en est son fer de lance, un concentré de tous ses maux mais aussi de tous ses espoirs. Et si vraiment les gays étaient des précurseurs ?

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