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DRISS TABAKKALT : POUR REUSSIR DANS LA RESTAURATION A BALI, IL FAUT CREER DES CONCEPTS

Driss Tabakkalt est une des figures de la restauration à Bali. Ce Belgo-Marocain de 51 ans est à la tête de trois restaurants emblématiques de la Jalan Kayu Aya à Seminyak, plus connue sous le nom « Jalan Oberoi » : Café Bali, The Junction et Batik. Il nous a accordé un entretien sur les spécificités de la restauration ici, un tableau moins rose qu’on ne pourrait croire malgré le nombre sans cesse croissant de touristes sur l’île, principalement à cause des investissements de plus en plus lourds et des marges de plus en plus étroites. Mais, à toutes ces contraintes, Driss Tabakkalt a trouvé des remèdes imparables si l’on en croit le succès incontesté que rencontrent ses établissements. Il nous livre quelques-uns de ses secrets…

La Gazette de Bali : Quelle est la situation actuelle de cette rue des restaurants que les Français appellent la « ruedela faim »
Driss Tabakkalt : Il y a de plus en plus d’endroits qui  ouvrent. Pas seulement ici , mais aussi jusqu’à Batubolong. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a énormément de gens qui foncent avec des oeillères, sans réfléchir. Ils ne sont pas du métier et se prennent une grosse gamelle rapidement… Il s’imagine que c’est facile mais ça ne marche pas comme ça. Et puis, de l’autre côté, aujourd’hui, on a de plus en plus de vrais pros avec des gros moyens. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils vont réussir mieux que les autres.

LGdB : Alors, qu’est-ce qu’il faut pour réussir aujourd’hui dans la restauration à Bali ?
D T : Il faut de la jugeote, mais aussi de l’expérience et bien sûr des fonds. La restauration est un métier très ingrat, surtout ici à Bali. Il y a trop de concurrence, ça fait du tort à tout le monde. La clientèle a cette image de cette île où on mange bien, de la qualité, à un prix plus que correct. Une destination culinaire en somme et ils sont très exigeants.

LGdB : C’est cela sans doute qui attire toutes ces vocations ?
D T : Oui, sans doute, c’est pour cela que ça ouvre de partout mais souvent, ça ne tient pas la route. Ces gens ne savent pas calculer leur food cost, leurs frais. Beaucoup d’amateurs donc, mais aussi beaucoup de pros…

LGdB : Oui alors, pourquoi cette ambivalence si spécifique de Bali ?
D T : Il y a deux créneaux. Le premier, c’est les pros avec la haute cuisine. Là, les gens viendront. Les endroits chics marchent bien à Bali. A condition de ne pas se planter sur le concept. Le 2ème créneau est plus populaire, c’est là aussi où il y a le plus de concurrence. Il y a des pros aussi sur ce créneau. Les gens viendront dans ces restaurants pas seulement à cause des prix plus serrés ou de la nourriture mais surtout à cause du concept, du cadre. C’est là que réside la valeur ajoutée.

LGdB : Est-ce la recette que vous avez appliquée à vos trois restaurants ?
D T : Absolument. A Café Bali, l’idée, c’était de faire une maison coloniale avec une bouffe super sympa. Qu’on se sente comme dans une maison d’une autre époque. C’est une usine aujourd’hui en termes de rendement. A The Junction, là, le cadre est très différent, c’est le concept d’un designer japonais. Avec une carte variée sans aucune prétention mais on offre un cadre très original. Nous allons d’ailleurs le rénover bientôt avec un concept cette fois de « maison avec des pièces », tout en gardant le nom. Enfin, Batik, mon petit dernier qui a remplacé mon restaurant oriental Khaima, pionnier dans la rue. Là, nous avons eu envie d’attirer la clientèle locale avec un décor en batik revisité et modernisé. Nous n’offrons d’ailleurs que des cuisines asiatiques ; indonésienne, thaïe ou vietnamienne. Nous avons suivi une formation en Thaïlande et au Vietnam pour nos gars en cuisine. C’est de l’authentique, pas de la copie.

LGdB : Pourquoi cibler la clientèle indonésienne ?
D T : Pour les étrangers, nous sommes obligés de suivre les fluctuations de la fréquentation ; la basse saison, la moyenne, la haute. Les locaux eux sont là toute l’année et ils sont bien plus nombreux que les étrangers. Le batik, les Indonésiens adorent, ils en sont fiers. Aujourd’hui, près de la moitié de ma clientèle à Batik est composé d’Indonésiens. C’est une vraie réussite, au-delà de nos espérances.

LGdB : Donc, si je comprends bien, pour réussir, il faut miser sur le décor ?
D T : Sans aucun doute. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, surtout en Asie, les gens se font des selfies partout où ils vont pour ensuite les poster en ligne. Les prix sur la carte et la qualité de la nourriture ne suffisent plus pour une sortie resto. Il faut de la valeur ajoutée, elle réside dans ce décor dans lequel on se photographie.

LGdB : Un casse-tête supplémentaire pour les restaurateurs alors ?
D T : Il faut avoir la capacité de se remettre en question. Après 14 ans dans la rue, je sais de quoi je parle. Khaima a été le 2ème restaurant à ouvrir dans cette rue après Mykonos. Mais ça aide d’être à Bali pour se renouveler, en termes de concepts, d’idées. On est plus créatifs à Bali. On est à la pointe, on ose. Les matériaux disponibles, le talent des artisans, les coûts, tout est possible ici.

LGdB : Pourtant, il semblerait que les établissements à l’australienne aient le vent en poupe en ce moment. Et là, point de concept, c’est juste l’ambiance laidback de nos voisins du sud qui est importée ici, non ?
D T : C’est indéniable, tout le succès de Batubolong est basé sur ce goût relax à l’australienne. Ils restent numéro un en fréquentation touristique, en bataille avec les Chinois certes, mais ils dépensent beaucoup plus de toute façon. On les voit aussi ici à Oberoi où des établissements qui leur correspondent ont ouvert récemment. J’avoue que ce n’est pas la clientèle que je recherche.

LGdB : Quel est l’écueil le plus important à surmonter aujourd’hui pour investir dans la restauration à Bali ?
D T : Une seule réponse : l’investissement. Il est de plus en plus lourd à cause des prix de locations des terrains. Pour vous donner une idée, quand j’ai ouvert Khaima, le loyer par an était de 50 millions de roupies, aujourd’hui, il est d’1,5 milliard. Comme je prends toujours des contrats de 10 ans, cela veut dire aujourd’hui un investissement d’1,5 millions d’euros rien que pour l’emplacement. Le ticket d’entrée dans la rue est donc bien cher. En France, c’est beaucoup moins que ça… Ensuite, la concurrence est acharnée. Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Si le nombre des touristes augmentent sans arrêt, le nombre des établissements aussi, et de façon disproportionnée. Regardez les prix à la carte, ils ont augmenté depuis dix ans, mais pas dans la proportion des investissements nécessaires pour se lancer.

LGdB ; Alors, comment faites-vous pour réussir avec des contraintes pareilles ?
D T : Là, il n’y a qu’un moyen : la rentabilité repose sur le volume. Il faut faire du couvert. Nous faisons des marges bien inférieures à ce que nous pouvons faire en Europe. Si là-bas, on peut faire du x3, ici, on fait du x1,5 ou x1,7.

LGdB : Driss Tabakkalt a-t-il un rêve professionnel inassouvi ?
D T : J’avais une idée. Mais mes amis m’ont incité à abandonner pour que je ne me perde pas dans un projet faramineux. Pourtant, cela aurait été le restaurant de référence mais mes amis m’ont dit : « Too much, reste tranquille, on va plus te voir avec ça ! » L’idée, c’était un restaurant en forme de nid d’oiseaux, un oiseau du Kenya dont le nid a une forme oblongue avec un long couloir d’entrée pour éviter les prédateurs. J’aurais construit ça à Jimbaran dans les arbres, le tout en rotin sur une structure en dur. Un resto-bar que j’aurais baptisé The Nest. Mais à la place, nous allons faire un tour du monde en famille d’un an…

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