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Chanee : devant le succès de “Kalaweit” une deuxième saison est prévue

Aurélien Brulé, alias Chanee est un Franco-Indonésien qui lutte depuis 18 ans pour la sauvegarde de la faune indonésienne à Kalimantan et Sumatra avec sa fondation Kalaweit. Démarrée avec le but de réintroduire des populations de gibbons dans la nature, son action souvent spectaculaire a toujours trouvé un écho dans les pages de ce journal (cf. La Gazette de Bali n°51 – août 2009 et n°79 – décembre 2011). Aujourd’hui, la mission qu’il s’est imposée s’est élargie à quasiment toute la faune en détresse des forêts indonésiennes qui viennent malheureusement de battre un sinistre record : celui de la déforestation la plus rapide au monde. Rencontre avec un homme remarquable au moment où une émission hebdomadaire de la télévision indonésienne est enfin consacrée à sa lutte pour le bien-être animalier…

La Gazette de Bali : Chanee, avant de parler de cette nouvelle émission de la télévision indonésienne, peux-tu faire le point sur les derniers développements de ta fondation ?
Aurélien Brulé (Chanee) : Ces dernières années, ce qui a surtout changé, c’est le fait que j’ai obtenu la nationalité indonésienne. Je peux désormais acheter à mon nom, comme cette réserve privée de 211 hectares que la fondation vient d’acquérir à Solok, dans l’ouest de Sumatra. C’est une grande victoire car elle nous permet de travailler encore plus pour la sauvegarde des animaux. C’est le plus important développement de ces dernières années. Sinon, autre élément prépondérant, je suis devenu pilote de paramoteur ce qui me permet de mieux détecter les animaux en détresse et surtout de surveiller au plus près les plantations de palmiers à huile et bien sûr la forêt en général.

<img4775|left>LGdB : Financièrement, est-ce toujours difficile ? Quels sont tes financements aujourd’hui ? La formule de parrainage que tu avais mise en place en France existe-t-elle toujours ?
A B (C) : A vrai dire, c’est paradoxal, car c’est toujours difficile mais en même temps c’est plus facile. La fondation est plus crédible, en conséquence, l’argent arrive, mais elle grandit aussi donc elle a plus de besoins et donc il faut plus d’argent… On travaille toujours à flux tendu et nous n’avons jamais plus de quatre mois de budget devant nous. Heureusement, les aides que nous avions dès le départ nous sont toujours fidèles, comme les fondations Brigitte Bardot et 30 millions d’amis. Oui, nous avons toujours le système de petites donations comme le parrainage. Les amis de Kalaweit, aujourd’hui, ça représente plus de 800 membres, qui versent en moyenne une dizaine d’euros par mois.

LGdB : Kalaweit, c’est combien de personnes à plein temps aujourd’hui ?
A B (C) : C’est 51 personnes réparties sur nos deux sites, Sumatra et Kalimantan. Nous n’avons plus de ressortissants étrangers depuis 2012…

LGdB : Tiens, pourquoi ?
A B (C) : Tu sais, c’est compliqué avec les autorisations, les visas, etc. En 2012, nous avions quelqu’un qui s’est perdu en forêt, ça a fait tout un pataquès avec les autorités car il a fallu envoyer des secours pour le récupérer. Après, ces mêmes autorités n’ont pas arrêté de me le reprocher, alors, à la fin, j’ai arrêté ces systèmes de stages sur place de volontaires occidentaux. C’est très dommage car nous avons besoin de ce genre d’ambassadeurs…

<img4776|right>LGdB : Tu as été consacré « Héro indonésien » en 2012 dans l’émission de Metro TV « Kick Andy ». Est-ce que cette récompense prestigieuse et reconnue ici par tout un chacun a amélioré ton statut ?
A B (C) : Personnellement, c’est très important, car c’est la première reconnaissance populaire dont je bénéficie ici depuis que j’ai commencé mon action en 1998. J’en suis très heureux. Et c’est grâce à son animateur Andy Noya que j’ai pu obtenir la nationalité indonésienne…

LGdB : Ah bon, ce n’est pas par ton mariage ?
A B (C) : Non, non, j’étais déjà passé dans une des ses émissions auparavant et il m’avait demandé si je souhaitais obtenir la nationalité indonésienne. J’avais répondu que oui mais que les autorités me l’avaient toujours refusée. Alors, il m’a suggéré une blague à faire lors de l’émission « Palawan Indonesia ». Andy me poserait la question : « Alors, es-tu enfin devenu indonésien ? » Et je devais répondre : « Bah non, car pour obtenir la nationalité ici, il vaut mieux être footballeur. » Il avait raison, ça a fait mouche. Quelques jours après, j’étais justement contacté par l’agent spécialisé dans les naturalisations de footballeurs et j’ai obtenu ainsi la nationalité rapidement en 2012. Toutefois, c’est vrai, l’obtention de ma nationalité indonésienne est quand même basée sur mon mariage. Je suis le premier étranger à avoir été naturalisé par les bureaux d’immigration de Palangkaraya !

<img4777|left>LGdB : Revenons au sujet principal de cet entretien… Pour la première fois, tu apparais à la télé indonésienne dans une série documentaire sur tes activités, produite localement, dans laquelle tu t’adresses en indonésien aux téléspectateurs indonésiens. Comment « Kalaweit, Wildlife Rescue » a-t-elle vu le jour ?
A B (C) : Encore une fois, c’est lié à Andy Noya et à la chaîne Metro TV. Je l’ai approché en suggérant qu’il faudrait faire quelque chose sur le petit écran. On a fait un pilote pour présenter le projet à la direction de la chaîne. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas partante. Petit à petit, on est quand même arrivé à les convaincre et on a pu faire d’abord trois épisodes qui n’ont jamais été diffusés. Le tout a pris deux ans. On a fini par tourner 13 autres épisodes. La première diffusion à la mi-août n’a pas fait une audience fabuleuse mais celles qui ont suivi ont fait un bon audimat…

LGdB : La série que tu avais faite précédemment avec la BBC, en anglais, avait pourtant déjà été diffusée en Indonésie, non ?
A B (C) : Oui, mais elle avait été diffusée sur Kompas TV qui n’avait pas une couverture nationale et les retours avaient été très faibles. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Metro TV n’était pas très partante pour cette nouvelle série en indonésien. Bref, avec un budget quand même assez conséquent de 400 millions de roupies et sans annonceurs, la chaîne a été contente de voir que la sauce prenait dès la deuxième diffusion.

LGdB : C’est donc Metro TV qui a tout financé ?
A B (C) : Oui, il est vrai que les seuls annonceurs qui s’étaient manifestés, c’était justement les entreprises d’huile de palme. J’y ai mis mon véto. Mais devant le succès de l’émission, une deuxième saison est prévue et cette fois, les sponsors répondent présent.

LGdB : Penses-tu qu’il y a une prise de conscience ? Que les Indonésiens commencent à déplorer la disparition de la faune et de la flore de leurs pays ?
A B (C) : Je pense que oui, mais d’une manière générale, c’est très difficile à évaluer. J’attaque des gens qui sont très haut placés et je fais pression sur eux constamment. Heureusement, avec la popularité grandissante de l’action de Kalaweit, nous disposons d’une vraie communauté de gens qui nous soutiennent et font donc pression avec moi contre tous ces haut fonctionnaires, ces gradés de la police, ces militaires, ces politiciens, qui mettent en cage des animaux sauvages pour leur seul plaisir. Avec cette popularité qui grandit, et la prise de conscience qui va avec, les choses vont dans le bon sens, c’est indéniable.

LGdB : Les Indonésiens commencent-ils à comprendre d’où vient le problème ? La déforestation, le développement, les habitudes de consommation, la construction des infrastructures…
A B (C) : Tout cela n’est pas encore bien clair dans l’esprit des gens même si certains ont compris que cette politique de production d’huile de palme à outrance mène au désastre et qu’il faut dire stop. D’ailleurs, des ONG indonésiennes le disent déjà. Mais il reste quand même un gros travail d’information. Il faut leur apporter cela doucement. Essayer de leur parler, d’expliquer la problématique. Ce n’est pas évident.

LGdB : Penses-tu qu’ils soient prêts à changer leurs habitudes pour sauver la nature ?
A B (C) : Ce n’est pas seulement une question d’habitudes au niveau local, le marché est mondial. La taxation des produits comprenant de l’huile de palme est une solution que je préconise. En Indonésie, il faut influencer les décisionnaires pour limiter les dégâts. Par exemple, il serait souhaitable de sauvegarder 10 à 15% de la forêt dans chaque concession allouée à l’exploitation du palmier à huile. Ca existait pour les concessions forestières avant, ça n’existe pas pour l’huile de palme… En tout cas, ce qui compte, c’est de mettre le plus de gens de notre côté !

LGdB : Oui, justement, te sens-tu soutenu dans ton action par les Indonésiens eux-mêmes ? Et par qui précisément ? Les gens ordinaires, les institutions, les politiciens, les journalistes ?
A B (C) : Les étudiants nous soutiennent, ça commence par là. Au niveau des institutions, certaines universités répondent présentes, surtout celles de biologie. La presse aussi, c’est indéniable. Je rappellerai que la chaîne d’information Metro TV est dirigée par Surya Paloh, dont la fortune s’est faite en grande partie grâce à l’huile de palme. Mais il y a une liberté totale dans notre travail pour cette émission… Sinon, le gouvernement indonésien n’a jamais manifesté le moindre intérêt dans l’action de Kalaweit, ils m’ont juste laissé faire… Mais depuis la diffusion de la série, je m’attends à des représailles, notamment de la part du gouverneur de Kalimantan-Centre. Je crois qu’il va me demander des comptes ! Je m’attends à ce que ça se produise dans les semaines qui viennent… Inutile de dire que je n’ai jamais eu aucun soutien politique donc ! Les gens puissants sont surpris par cette série télé et je m’attends à des difficultés dans un avenir proche mais si on dérange, on aura atteint notre objectif, n’est-ce pas ?

<img4778|right>LGdB : Attends-tu beaucoup du nouveau président élu Jokowi ?
A B (C) : Dans le sens où il représente une nouvelle forme de gouvernance, oui. Les choses vont dans le bon sens, en tout cas, j’aime à penser cela…

LGdB : Cela fait cinq ans que nous ne t’avions pas interviewé. Quelle est la situation des gibbons dans tes centres ?
A B (C) : Difficile, ça a empiré. Nous avons trop d’animaux et pas assez de forêt pour les réintroduire, à Kalimantan surtout. A Sumatra, nous avons trois couples de gibbons candidats à la réintroduction. Le plus dur est de trouver une forêt où ils auraient leur place. Avec la déforestation, ce qui reste est saturé de spécimens… C’est une véritable situation de frustration. La solution, c’est de créer des îlots de forêts survivantes, en les achetant… Le gibbon, c’est difficile de le relâcher, depuis le début, nous n’en avons réintroduits qu’une trentaine alors que les autres espèces plus faciles, c’est par centaines ! En termes de réhabilitation, le gibbon, c’est un échec… Comme pour les crocodiles et les ours. En ce moment, nous avons 250 gibbons, 9 crocodiles et 12 ours dans nos centres. Ils sont en attente. 25% des gibbons sont prêts à la remise en liberté mais on ne sait pas où ! Reste que dans les conditions de vie en semi-liberté que nous leur offrons, ils ont une espérance de vie normale…

LGdB : La radio Kalaweit existe-t-elle toujours ? Ses auditeurs sont-ils toujours les meilleurs informateurs pour dénoncer les mises en captivité d’animaux ?
A B (C) : On vient de fêter les dix ans ! J’ai repris une émission le matin. La radio bénéficie de la télé. Les appels sont de plus en plus nombreux. Nous venons aussi de lancer une appli pour Smartphones avec laquelle les gens peuvent prendre une photo d’un animal prisonnier et l’envoyer directement à notre connaissance. Nous pouvons ainsi intervenir rapidement pour libérer l’animal, à condition toutefois qu’ils soient situés près de nos deux centres. Connaissant la passion des Indonésiens pour leur téléphone, cette appli connait un véritable succès ! Par ailleurs, nous sommes en train de mettre en place un prix qui désignera la ville d’Indonésie la plus mauvaise pour la protection des animaux, à partir de 2015.

LGdB : As-tu toujours de puissants ennemis ? N’es-tu pas devenu intouchable avec ta popularité indonésienne d’aujourd’hui ?
A B (C) : C’est toute la démarche de cette émission… Car si je veux avoir le bon interlocuteur dans mes démarches et mes actions, je dois avoir les médias avec moi, ainsi, je n’ai plus besoin de passer trois jours à essayer de convaincre quelqu’un de m’écouter, il sait tout de suite qui je suis et ce que je fais… Au niveau des ennemis, ça s’est un peu calmé. Pas parce que j’en ai moins, mais parce que je fais plus attention. Lorsqu’on est appelé par exemple, je ne fonce plus tête baissée comme avant, j’envoie des gens en reconnaissance afin de déjouer les possibles pièges et traquenards. Cette popularité n’est pas une arme, plutôt un bouclier…

LGdB : Dans cette nouvelle émission, on te voit intervenir pour toutes sortes d’animaux. La vocation de Kalaweit s’est-elle élargie des gibbons à toute la faune de Sumatra et Kalimantan ?
A B (C) : Par la force des choses, oui. Je n’ai jamais refusé un animal. Nous ne sommes pas sélectifs. Tout l’écosystème est important.

LGdB : Faites-vous de la pédagogie auprès des enfants indonésiens ?
A B (C) : On ne va pas dans les écoles même si on a des demandes. On ne reçoit pas non plus de groupes en visite mais on commence à y penser. Notre stratégie première reste d’occuper les médias avec la télé et la radio, on s’invite chez les gens et il n’y a rien de plus efficace. La seule chose que je déplore, c’est que l’émission de Metro TV passe un peu tard pour les enfants. La deuxième saison aura, je l’espère, une rediff le dimanche après-midi.

<img4779|left>LGdB : En octobre, tu seras au Zoo de Vincennes, à Paris, pour une conférence. Es-tu toujours aussi actif dans les pays occidentaux ?
A B (C) : Plus que jamais car l’argent vient de là-bas ! Il y a quand même quelques entreprises indonésiennes qui nous aident mais ce n’est pas assez. Je serai en France comme tous les ans pour la grande assemblée générale de Kalaweit, l’occasion de passer par le Zoo de Vincennes. Je vais aussi publier un livre bientôt, comme tous les deux ans à peu près… Par ailleurs, nous sommes toujours présents aux Etats-Unis, où nous recevons le soutien d’Arcus, nous avons amélioré notre visibilité en Australie. La Belgique nous aide bien aussi, mais 80% de notre financement provient toujours de France. Alors, oui, il est primordial d’être actif là-bas…

LGdB : Trouves-tu encore le temps de te ressourcer seul dans la forêt ?
A B (C) : Oui, bien sûr (rires…). A Sumatra, j’ai une petite cabane dans la forêt, dans la portion que nous avons acquise, j’y dors assez souvent quand je suis là-bas…

LGdB : Pour conclure avec la nouvelle génération. Tes deux garçons, ont-ils la même passion que toi pour les animaux ?
A B (C) : Ils sont proches de la nature par la force des choses… Pour eux, c’est normal. Ils sont automatiquement attirés et à leur aise avec les animaux et la nature. Je leur apprends que les animaux ne font pas de sélection, qu’ils sont entiers… Mais si demain, ils veulent devenir informaticiens à Paris, aucun problème… Pour l’instant, ça leur plait comme ça mais on verra.

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