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NOVANTO ARRÊTÉ ET MIS EN EXAMEN, MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ?

Le président du parlement indonésien et numéro un du parti Golkar a été arrêté par la Commission pour l’éradication de la corruption (KPK) dans une affaire liée à l’établissement de cartes d’identité électroniques pour les Indonésiens. Une histoire de corruption extraordinaire par les montants concernés et l’opposition acharnée de ce politicien de premier plan mis en examen pour la 2ème fois en quelques semaines…

C’est en 2010 que le gouvernement indonésien décide de lancer le projet e-KTP, une carte d’identité électronique devant à terme être disponible pour tous les Indonésiens et contenir toutes les informations les concernant. Une évolution censée notamment faciliter les démarches administratives dans le pays.

Un budget d’environ 450 millions de dollars est provisionné pour le projet. 173 millions de dollars de ce budget (soit plus d’un tiers) ont été détournés pour le compte de 80 hommes et femmes politiques, bureaucrates et hommes d’affaires. Setya Novanto est soupçonné d’être au cœur du scandale puisqu’il aurait à lui seul reçu 42 millions de dollars des fonds détournés.

Un témoin important s’est suicidé à Los Angeles
Après s’être soustrait une dizaine de fois aux convocations pour interrogation du KPK, le plus souvent pour raisons supposément médicales, le président du parlement, 62 ans, avait déjà échappé à une première arrestation en septembre dernier à la suite d’une décision de justice pour le moins controversée qui avait invalidé l’acte d’accusation du KPK pour vice de forme.

Un mois plus tard, le KPK a répondu avec un second acte d’accusation en utilisant de nouvelles preuves issues d’une enquête du FBI américain sur l’entrepreneur Johannes Marliem, un des fournisseurs pour le projet e-KTP. Marliem, 32 ans, s’était tiré une balle en août dernier après une confrontation de neuf heures avec la police à Los Angeles. Auparavant, il avait sollicité l’aide de l’Agence indonésienne d’aide aux victimes et témoins (LPSK), affirmant détenir des enregistrements de ses conversations avec quelques-uns des 37 politiques impliqués dans le scandale et craignant pour sa vie.

Le KPK s’est donc rendu le 15 novembre au domicile de Setya Novanto mais leur tentative d’arrestation est à nouveau restée vaine. Le leader du parti Golkar, un soutien du président Jokowi dans la coalition présidentielle, avait disparu. Ce n’est que 24 heures plus tard qu’il est réapparu dans un hôpital de Jakarta après un accident de voiture suspect. D’après son avocat, il se rendait au moment même de l’accident au siège du KPK pour s’y expliquer avec les enquêteurs. Après une journée de soins et avec l’accord de l’équipe médicale du KPK qui l’a déclaré en bonne santé contrairement à ce qu’avait dit son avocat, il a finalement été placé en détention et transféré dans une cellule de l’agence anticorruption où il sera interrogé pendant une première période de trois semaines.

Setya Novanto a ainsi enfin revêtu la fameuse veste orange de tous les mis en examen pour corruption. Mais assiste-t-on pour autant à la chute plusieurs fois programmée d’un des plus importants personnages de l’Etat indonésien et qui s’est toujours tiré d’affaire ? Son arrestation et les charges pesant contre lui pourraient le laisser croire. Mais l’homme a une nouvelle fois engagé une procédure judiciaire visant à annuler son arrestation, et le système judiciaire national étant digne d’une confiance toute relative, il est prudent d’en attendre le résultat.

Surtout, Setya Novanto est très influent, il est un homme de grand pouvoir et il est difficile d’imaginer qu’en cas de chute, il se résigne à tomber seul. De nombreuses tentatives de négociations en coulisses devraient donc avoir lieu parmi ceux dont l’implication dans le scandale e-KTP est suggérée par les éléments de l’enquête.

Politiquement, les qualités de lobbyiste du président du parlement ont été d’une grande aide pour la mise en place de la politique de Jokowi. Celui-ci va donc œuvrer pour qu’en cas de remplacement de Setya Novanto, le soutien reste le même, notamment en cas de nouvelle coalition au-delà de 2019. Il est à souligner tout de même que le président Jokowi, dont l’image propre ne souffre pas, a suggéré publiquement à son allié de se soumettre de bonne grâce au processus judiciaire.

Freeport, l’affaire dont il était sorti indemne en 2015
Le Golkar est aussi dans une position inconfortable. Le parti créé par l’ancien président Suharto n’est déjà plus la première force politique du pays avec ses 14% des voix en 2009 et 2014, et ce scandale impliquant son premier dirigeant tombe au plus mal avant les élections générales de 2019. Setya Novanto, qui ne donne pour l’instant pas signe de vouloir abandonner ses responsabilités politiques, sera-t-il cette fois lâché par les siens ?

Il est vrai que celui que certains surnomment M. Teflon, car aucun scandale ne colle sur lui, n’en est pas à son coup d’essai. Révélé aux yeux du très grand public en s’affichant aux côtés de Donald Trump pendant la dernière campagne présidentielle américaine, son nom a été cité dans au moins quatre autres cas de corruption en Indonésie depuis 1999.

L’avant-dernier en date, en 2015, l’avait vu être accusé de vouloir extorquer plusieurs milliards de dollars en actions de la part de Freeport Indonésie en échange de la prolongation du permis d’exploitation du géant minier américain en Papua (cf. La Gazette de Bali n°127 – décembre 2015). Ebranlé par le scandale, il avait alors été forcé de démissionner de son poste de président du parlement, avant d’y être réinstallé moins d’un an plus tard quand l’affaire s’était calmée.

Devant ce nouvel épisode glaçant de détournement majeur de fonds publics, pour un projet qui en outre, les concernait tous, les Indonésiens se tournent, si l’on en croit les réseaux sociaux, vers l’humour. Quand la religion ou l’augmentation du prix de l’essence semblent être des sujets qui à leurs yeux méritent des manifestations publiques parfois violentes, la corruption reste ce mal endémique accepté de presque tous. Comme une résignation ou un mal nécessaire.

Face à cela, il est une nouvelle fois important de souligner l’incroyable résilience du KPK, qui malgré les tentatives policières et parlementaires récurrentes, et pour cause, de remettre en question sa légitimité, ses moyens et même son existence, continue presque seul de se battre avec une efficacité exemplaire contre la corruption en Indonésie. Selon ses propres chiffres, l’agence indépendante a enquêté l’année dernière sur 91 cas, un record dans ses quinze ans d’existence. Mais une goutte d’eau à l’échelle de l’Archipel.

 

Jean-Baptiste Chauvin

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